Pendant qu’en France le gouvernement a rendu public à la rentrée une . »Charte de la laïcité » destinée à être affichée et diffusée dans les écoles; au Québec un débat houleux agite la classe politique sur un projet de « Charte des valeurs québécoise ». A Montréal, le modèle français de « laïcité à la dure » ne fait pas l’unanimité.
« Pourquoi suivre la France ? » s’interroge un journaliste dans les pages du quotidien québécois « Le Devoir » tandis que Mme Marois, premier ministre du Québec a vanté jeudi dernier, le modèle laïque français et la charte québécoise qui s’en inspire .
Mais l’Amérique, même quand elle est francophone ne digère pas aussi facilement ce qui est considéré ici, comme une atteinte aux libertés. Le débat est houleux dans les rangs de l’assemblée comme dans la rue. Une marche contre la charte a été organisée le samedi 14 septembre dans les rues de Montréal par un collectif québécois contre l’islamophobie..Elle a été suivie par des milliers de personnes, majoritairement des familles musulmanes, qui scandaient notamment : « le Québec n’est pas la France ».
De quoi s’agit-il ? La Charte des valeurs québécoise a pour but d’affirmer la neutralité religieuse de l’Etat en refusant à tout fonctionnaire ou employé d’un organisme parapublic le port de signe religieux. Hors fonction publique les » accommodements » permettront de trouver un équilibre entre le respect des droits de la personne et celui des valeurs communes à tous les Québécois.
La presse et l’opinion se sont emparés du sujet pour en faire la critique.
« On utilise un bazooka pour tuer une mouche » a déclaré Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’université de Laval , tandis que le philosophe Charles Taylor assure « qu’ interdire le port de signes religieux dans la fonction publique serait un acte d’exclusion absolument terrible … »
Charles Taylor est l’auteur d’un rapport faisant état d’une » identité québécoise inclusive » différente d’une « identité française exclusive ». Pour garantir cette « identité inclusive » son rapport conseille à chaque Québécois » d’apprivoiser au plus vite la diversité religieuse au sein de l’école laïque, comme dans la rue. »
Le débat qui agite l’opinion au Québec, montre que cette garantie n’est pas assurée. La population de Montréal et de ses banlieues est ouverte à la diversité et au multiculturalisme, en revanche les provinces le sont moins et c’est sur ce décalage que joue le gouvernement en se projetant dans les élections prochaines.
Les maires des 15 villes de l’agglomération montréalaise se sont tous prononcés contre la charte. » Ce projet témoigne d’une méconnaissance de la réalité multiculturelle de Montréal et mènera simplement à la division et à l’exclusion » disent ces élus qui dans quelques semaines vont remettre leurs mandats en jeu. » Si cette charte était appliquée », ajoutent-ils, « comment gérerions-nous le quotidien, aussi bien à l’hôpital général juif dont plusieurs membres du personnel portent des signes religieux que dans les crèches de la ville o๠de nombreuses éducatrices portent le hidjab. »
Au Québec, comme en France, il y aurait dans le sillage de ces chartes comme un parfum électoraliste. Un » gadget » a dit Melenchon à Paris, à Montréal on accuse le gouvernement de s’attaquer à un problème qui n’existe pas, qui ne met pas le pays en danger, mais en revanche qui avalise les plus mauvais préjugés : »on ne se laissera pas envahir ».
L’argument est discutable dans un pays qui n’a cessé d’être envahi et qui est lui-même le produit de » l’invasion » par les colons européens de territoires alors peuplés par les amérindiens. Jacques Cartier » découvreur » de Montréal, fut le premier européen à monter sur le Mont Royal, il était accompagné d’ indiens Iroquois qui lui ont montré le chemin. Ces derniers se doutaient-ils que leur règne sur ces terres était terminé, que leurs « valeurs » allaient être bousculées et que les » envahisseurs » étaient là ?
La référence à la France en matière d’immigration, de laïcité et de diversité pose un problème au Québec. Françoise Pelletier dans la quotidien » Le Devoir » le résume ainsi: » La France ne peut pas nous servir de modèle. Le principe fondateur du Nouveau Monde est celui de la colonisation, de gens venus d’ailleurs pour repartir à zéro. L’immigration est la clé de voute de notre existence, comme de notre éventuelle survivance … On peut considérer que la laïcité à la dure à la française est légitime, plusieurs ici d’ailleurs le pensent, mais pour nous dont l’avenir repose sur notre capacité de vendre au plus grand nombre cette grande et téméraire aventure culturelle appelée Québec, en incluant les gens venus d’ailleurs, ce n’est s ûrement pas le modèle à suivre … »
D’autant que le Québec porte ses contradictions. Interdire les signes religieux dans la fonction publique, alors qu’un crucifix est accroché à l’un des murs de l’Assemblée nationale québécoise, pose a minima question, si on veut aller vraiment au fond des choses.
Le Québec a à ses portes le modèle anglo-saxon si différent dans son esprit du modèle français pour traiter les questions de diversité et de multiculturalisme. Tous les autres Etats du Canada sont sur ce modèle.
Des observateurs québécois font remarquer que si la charte des valeurs étaient mise en oeuvre au Québec, celui ou celle qui refuse de l’appliquer, n’aura pas à changer de pays, les provinces anglophone lui ouvriront grands leurs portes. André Pratte du quotidien La Presse est même persuadé que ces personnes pourront trouver un autre emploi au Quebec dans les institutions anglo-québécoise qui auront demandé à être exempté de la charte ou bien refuseront de l’appliquer.
» La charte du gouvernement Marois, repoussera vers la communauté anglophone des gens qui s’étaient intégrés ou étaient en voie de l’être au Québec français. » assure le journaliste. Le Québec bashing a d’ailleurs déjà commencé dans la presse anglophone. Les offres d’emplois d’un hôpital de Toronto ont été publié en ces termes : » Nous ne nous soucions pas de ce qui est sur votre tête, nous nous soucions de ce qui est dedans ». Appel marqué au personnel des hôpitaux de Montréal, médecins et infirmières, qui pourraient refuser d’appliquer la charte si elle est imposée.
Le débat est ouvert dans la » Belle province » et ne sera pas clos demain. Le gouvernement Marois a débloqué un budget de deux millions de dollars pour financer une campagne de communication destinée à » vendre » la charte. Des millions de dépliants vont être distribués dans tout le pays. Polariser l’opinion sur un sujet pour au final emporter des élections est une stratégie aussi vieille que le » marketing politique ». Le parti québécois au pouvoir à Montréal agiterait-il la question de la diversité pour éviter de répondre à des questions embarassantes sur l’économie et les équilibres budgétaires.. D’un côté ou de l’autre de l’Atlantique les méthodes au final se ressemblent.