On a parlé en 2013 des Roms » qui n’avaient pas vocation à … », du mariage pour tous. Puis Dieudonné a fait la une, puis les amours vaudevillesques du trio François, Valérie, Julie. Le décret ministériel du 23 décembre 2013 allégeant les conditions de l’épandage aérien de pesticides est passé beaucoup plus inaperçu. Citoyens, démocrates, attention, Etat de droit en péril.
Bon, vous devez le savoir, l’épandage aérien de pesticides est interdit par une directive européenne. Pourquoi ? Parce que cette pratique » est susceptible d’avoir des effets néfastes importants sur la santé humaine et l’environnement. » C’est une bonne raison.
La Guadeloupe, la Martinique, la Guyane … étant RUP, ( régions ultra périphérique de l’Europe) elles sont soumises comme la France hexagonale à cette directive.
Oui mais. Le régime dérogatoire autorisant l’épandage aérien » dans certaines conditiohs » étant trop exigeant ( En 2011 et 2012, les préfets, l’Etat, les agriculteurs le pratiquant ont souvent perdu en justice), le 23 décembre dernier, entre deux « chanté Nwel » le ministère de l’Agriculture, a publié, pendant les vacances – celles des esprits et de la démocratie – un décret assouplissant le régime dérogatoire. Les conditions n’ont pas été durcies, bien au contraire, notamment la consultation publique n’est plus nécessaire: circulez, il n’y a rien à voir, on peut se passer de l’avis des citoyens et des décisions de justice.
Passant outre les directives européennes, contredisant la lettre de cadrage du premier ministre et se contredisant lui-même (1), Stéphane Le Foll a choisi. Au lieu d’encourager un cercle vertueux qui pousse les agriculteurs à utiliser des méthodes moins polluantes et plus douces pour l’environnement et pour nous-mêmes, le gouvernement a pris le risque de décourager les bonnes volontés.
Car sur le fond, que se passe-t-il depuis deux ans et pas seulement en Guadeloupe ? Des agriculteurs de plus en plus nombreux se rendent compte que pendant des années, ils ont utilisés des méthodes qui, en fin de compte, ne sont pas à leur avantage. En déversant des quantités importantes des pesticides sur leurs cultures et leurs terres, ils ont appauvrit les sols et brisé les équilibres naturels. Pour produire, ils sont contraints d’utiliser des plus en plus de produits chimiques pour un co ût de plus en plus élevé. Un cercle vicieux dont beaucoup voudraient sortir. Mais le peuvent-ils, si la puissance publique et l’opinion ne les aident pas ?
Le paradoxe est – alors que cette prise de conscience fait son chemin – que l’Etat, sous la pression de lobbies, toujours puissants mais à contre-courant, joue la carte du passé contre celle de l’avenir.
En 2013, ici en Guadeloupe, après plusieurs défaites devant le tribunal administratif, un représentant des planteurs de bananes a fait une déclaration allant plutôt dans le sens de l’abandon définitif de l’épandage aérien. Le tonnage de la campagne 2013 a montré que la production de bananes ne s’est pas effrondrée en Guadeloupe, contrairement à la menace qu’ont tentée de faire peser les « agriculteurs conventionnels » pour maintenir en l’air les hélicoptères et leurs nuages chimiques.
L’idée fait son chemin donc, sans l’appui d’un gouvernement qui semble vouloir avec un certain cynisme, jouer sur tous les tableaux. Ne pas choisir, est-ce la marque de la gouvernance Hollande ? Dire une chose et en faire une autre, est-ce cela la politique ?
On assiste à ce cas de figure o๠la société civile avance plus vite que les politiques. Le cercle vertueux, la vision de l’avenir ne vient pas de ceux qu’on qualifie avec un peu de peine » les élites », car ils n’ont plus de » visions », ne font plus de choix, mais gèrent les affaires à coup de synthèses. Pas enthousiasmant.
Des viticulteurs de la région Champagne ont décidé de ne plus demander de dérogation en 2014, après avoir été la deuxième région française d’épandage aérien, jusqu’en 2010. Pourquoi ?
Une question d’image : les photos d »hélicoptères déversant des nuages chimiques sur le vignoble de Champagne est du plus mauvais effet. Mais ce n’est pas cela seulement.
Les viticulteurs de cette région commencent à remettre en cause le co ût et l’efficacité de la méthode. » Face à la multiplication des parasites, on a constaté une baisse de l’efficacité, 75% des produits déversés n’atteignent pas leur cible » a déclaré Arnaud Descà¶tes, membre du comité interprofessionnel du vin de Champagne, au site d’information terraeco.net. Problème de précision de l’épandage donc, de régime des vents, si évidents mais si rarement évoqués. O๠vont les 75% du produit qui n’atteignent pas leur but, la question vaut d’être posée. Qui s’occupe des contrôles ?
Le projet de loi pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt discuté le 7 janvier 2014 à l’Assemblée nationale n’aborde pas la question de l’épandage aérien. Ce long texte de loi, si aride et si technique, se fixe pourtant de beaux objectifs:
– Entre autres » .. le développement de la filière de production et de transformation alliant performance économique, haut niveau de protection sociale et performance environnementale, capables de relever le double défi de la compétition internationale et de la transition écologique, en mettant sur le marché des produits innovants et de qualité, en soutenant le développement des filières des énergies renouvelables, des produits biosourcés et de la chimie vègètale … » Il y a là beaucoup d’objectifs en un seul : double défi, compétition, transition, économie, environnement, faire la synthèse de tous est une gageure, il faudrait choisir.
« Gouverner c’est choisir », le propos est célèbre, tenu par un socialiste historique Pierre Mendes-France, en 1953, lors de son discours d’investiture. Il est toujours d’actualité.
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(1) En juillet 2012, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll avait assuré qu’il souhaitait » qu’à terme les agriculteurs abandonnent l’épandage aérien « . Un an et demi plus tard, il facilite encore plus cette pratique très discutable. O๠place-t-il le terme ?