La question de l’eau comme celle du carburant est récurrente en Guadeloupe car elles sont lièes à des enjeux financiers et des activités très lucratives. Le contentieux autour des factures impayées à la Générale des Eaux soulève en toile de fond la question l’autosuffisance en matière de production et de distribution d’eau potable. Claude Edmond nous propose une approche technique de la question.
L’eau n’est pas une compétence comme les autres. Ce n’est pas une marchandise mais un bien commun de l’humanité.
Les enjeux majeurs pour l’usager des services publics de l’eau mais aussi de l’assainissement des eaux usées résident principalement dans la transparence et la maîtrise du prix de l’eau. Et tout précisément, la lisibilité , le contrôle de la facture, la connaissance des co ûts et au final la formation du prix de l’eau. La satisfaction de ces deux objectifs est étroitement liée à la qualité de la gestion par l’autorité organisatrice (commune, structure intercommunale). Cette gestion est assurée directement par la collectivité locale sous la forme de régie ou confiée par délégation à une entreprise privée ou publique.
Le financement des nouveaux réseaux et réservoirs constitue un autre défi à relever. Par ailleurs, la non réalisation ou de manière insuffisante des travaux de renouvellement des ouvrages en mauvais état a pour conséquence immédiate la dégradation du taux de rendement des réseaux. De surcroît, la capacité de stockage des réservoirs n’a pas toujours suivi l’évolution du nombre croissant d’usagers.
L’inventaire des branchements, canalisations et châteaux d’eau indique en raison de leur nature et ancienneté, des fuites, fissures et la présence de pesticides. Cette situation conduit au pire à la fermeture des réservoirs. Au mieux, à augmenter le temps de séjour de l’eau dans certaines parties du réseau, à sa mauvaise qualité et de la hausse du taux des pertes d’eau en lignes. Résultat : le taux de rendement technique moyen des réseaux de distribution et d’adduction d’eau en 2012 est de 51%.
En outre, le nombre excessif d’exploitants des services publics d’eau et d’assainissement sur notre territoire est une source de surco ûts pour le consommateur. Seuls des regroupements d’une taille significative permettraient de réaliser des économies d’échelle et de mutualiser les charges, moyens, compétences et co ûts. La gestion intercommunale permet aussi d’améliorer la transparence financière et de mettre en place des outils de pilotage et des indicateurs de performances.
Le prix de l’eau varie en fonction de multiples facteurs : géographie, pollution, difficulté de captage, qualité et étendue du réseau. Ainsi, le prix de l’eau peut être différencié sur un même espace donné. A titre d’exemple, une commune o๠la gestion de la distribution d’eau potable est assurée par deux syndicats intercommunaux qui se répartissent le territoire selon le quartier, le consommateur ne paye pas l’eau au même prix.
La mise en place d’un service unique de l’eau à la simple échelle intercommunale, a l’avantage de conduire à terme à un tarif unique. Toutefois, le mécanisme de péréquation doit être conforme aux dispositions légales, en vertu desquelles les redevances d’eau potable doivent corrélées avec le co ût réel du service. Parallèlement, les élus locaux craignent que l’uniformisation du prix qui va de pair avec le développement de l’intercommunalité, ne conduise à alourdir la facture de certains clients.
Le rapport annuel du délégataire a été rendu obligatoire par la loi du 8 février 1995 relative aux marchés publics et aux délégations de services publics. Il retrace la totalité des opérations afférentes à l’exécution de la délégation de service public. Il doit comprendre le compte annuel de résultat de l’exploitation (CARE) du service et présenter des informations patrimoniales dont un état des dépenses de renouvellement réalisées dans l’année. La qualité du service public délégué est appréciée à partir d’indicateurs proposés par le délégataire ou demandés par le délégant.
– Transparence du prix de l’eau. La loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) pose le principe que toute fourniture d’eau doit faire l’objet d’une facturation. La fixation du tarif de l’eau comprend une part fixe (abonnement) et une part variable proportionnelle à la consommation d’eau de l’abonné. Le montant de la facture d’eau est calculé en fonction du volume réellement consommé établi soit sur la base d’un tarif uniforme au m3, soit sur la base d’un tarif progressif modulé par tranches de consommation.
Cette structure tarifaire ne reflète pas la réalité des co ûts de fonctionnement des services composés à 80-95% de co ûts fixes (équipements, personnel) indépendants de la consommation d’eau. Ainsi, dans une activité de co ûts fixes, toute baisse de consommation a un impact sur le tarif de l’eau au m3. L’équilibre économique des services est donc fragilisé dans la mesure o๠les co ûts sont fixes mais o๠la majeure partie des revenus est assise sur les volumes facturés.
– Amélioration du service rendu à l’usager (LEMA 2006). Le règlement de service définit les prestations assurées par le service, les obligations de l’exploitant, usagers et propriétaires. L’exploitant doit le remettre à chaque abonné et rendre compte au maire ou président des modalités et de l’effectivité de sa diffusion.
– Obligations du délégataire (LEMA 2006). Le concessionnaire (production d’eau) en charge du renouvellement et des grosses réparations doit annexer au contrat un programme prévisionnel de travaux avec une estimation des dépenses et rend compte annuellement de son exécution. En fin de contrat, il établit un inventaire détaillé du patrimoine de la collectivité délégante et lui remet 6 mois avant l’échéance du contrat, les supports techniques à la facturation ainsi que les plans des réseaux. Il reverse au délégant les sommes correspondant à des travaux inscrits au programme prévisionnel et non exécutés. En cas d’affermage (distribution d’eau), une surtaxe est perçue mensuellement sur les usagers par la société fermière et reversée à la collectivité affermante. Cette redevance destinée à financer les investissements est parfois détournée de sa fonction par l’affermant et affectée à la réduction de son déficit.
Les indicateurs de performance figurent dans le rapport annuel sur le prix et la qualité du service. Il est présenté par l’autorité organisatrice (maire, président) à l’assemblée délibérante dans les 6 mois qui suivent la clôture de l’exercice. Ainsi, le délégataire doit le transmettre dans un délai d’un mois au délégant avant la présentation à l’organe délibérant. Le pilotage des services à l’aide d’indicateurs de performance permet d’améliorer leur qualité. Par exemple, une commune avec un taux de rendement du réseau faible, peut poser des compteurs de bruit pour détecter les fuites et les traiter rapidement.
le contrôle des charges du délégataire est difficile
Le contrôle des charges indirectes du délégataire réparties entre plusieurs contrats s’avère difficile. Il s’agit notamment des frais de siège ou de structure, des impôts locaux, des frais des organismes de recherche, des rémunérations des actionnaires via les dividendes, les contrats de publicité, la communication et le marketing.
L’essentiel de ces charges disparaissent avec la mise en régie. Par ailleurs, une certaine opacité entoure le mode de calcul. En effet, le principe est que les contrats les plus rentables sont ceux qui vont supporter proportionnellement les frais de siège les plus importants.
La même analyse peut être formulée pour les frais de personnel du délégataire imputés au contrat. Certains agents peuvent intervenir sur plusieurs contrats de délégation dans un périmètre proche. Dans l’hypothèse o๠les frais généraux sont surestimés de 20%, le prix de l’eau pour l’usager évolue de manière parallèle. Le retour en régie du service public de l’eau dans de nombreuses villes de métropole (Paris, Bordeaux..) est essentiellement lié à son co ût exorbitant dans le cadre de la gestion déléguée.
Les pertes sur créances concernent autant les factures des collectivités publiques qui ont acheté de l’eau en gros que les particuliers ou les entreprises. Par ailleurs, les pertes irrécouvrables en raison de la prescription d’assiette de 2 ans sont d’un montant non négligeable (Siaeag : 1,8 million d’euros au 31 mars 2011). En définitive, le taux d’impayés représente 13% au titre de la gestion en délégation, de 20% dans le cadre des marchés publics et de 69% pour les ventes en gros aux collectivités locales.
Au final, le montant élevé des impayés impacte la trésorerie du délégataire et du délégant via le reversement de la surtaxe. Pour un partage des risques, ce reversement n’était plus en fonction uniquement du montant des émissions de vente d’eau mais dépendait également des encaissements réels faits par le délégataire.
40% seulement de la population est raccordée au réseau d’assainissement collectif contre 70% à Saint-Martin et 87% pour la métropole. L’assiette de la redevance d’assainissement est le volume d’eau potable consommé. Son prix augmente plus vite que celui de l’eau et est amené à peser de plus en plus sur la facture de l’abonné. Au niveau national, le prix de l’assainissement représente 53% de la facture de l’usager contre 41% en Guadeloupe.
De surcroît, il devient urgent de développer le nombre et la capacité des stations d’épuration des eaux usées collectives et de généraliser la mise en place du service public d’assainissement non collectif – obligatoire depuis 2013.