L’appareil judiciaire en Guadeloupe manque d’interprètes en mesure de traduire l’anglais ou le créole. Il peut arriver qu’un justiciable passe devant des juges dont il ne connait pas la langue. Ce n’est pas de la justice-fiction, cela arrive au tribunal de Pointe-à -pitre en 2014.
– Tribunal correctionnel de Pointe-à -pitre, 6 mai 2014.
« Vous ne parlez pas français ? Malheureusement, on n’a pas d’interprète aujourd’hui ». La juge se tourne vers le greffier : » vous pourriez peut-être assurer la traduction ? » Une moue agacée pour réponse (1), la magistrate explique alors – en français ! – au prévenu dominiquais qu’il ne peut être jugé aujourd’hui. Cela n’empêche pas le tribunal, avec l’assentiment du substitut du procureur (réquisitoire en français bien s ûr), de l’envoyer en prison – malgré un bras dans le plâtre – en attendant son nouveau procès. Une scène surréaliste mais courante pour qui fréquente les prétoires guadeloupéens.
En aparté, un avocat chevronné pointe les violations des principes du droit, citant notamment l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme: » Tout accusé a droit à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et la cause de l’accusation portée contre lui (…) à se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience » (2).
On est loin du compte : » La Guadeloupe ne compte qu’un ou deux interprètes alors qu’il existe cinq juridictions différentes. Un scandale. Pourtant rien n’est fait pour changer les choses du côté du ministère ! « .
Il ne s’agit pas en effet seulement d’une problématique liée aux citoyens dominiquais ou haïtiens, nombre de justiciables guadeloupéens s’expriment difficilement en français et de ce fait n’ont pas la possibilité de se défendre – ou réclamer justice – convenablement.
Dans une société créolophone, une telle réalité ne peut que conforter la vision d’une justice coloniale à l’oeuvre sur l’archipel.
(1) La semaine précédente, les greffiers, surchargés de travail, étaient en grève pour la première fois depuis 2003 pour dénoncer les bas salaires de la profession et le projet du gouvernement de leur attribuer de nouvelles tâches.
(2) http://conventions.coe.int/treaty/fr/treaties/html/005.