Michel Fouillet est administrateur civil hors classe honoraire. Depuis 1974, à des titres divers, il a suivi les problèmes de l’outre mer et plus particulièrement la fiscalité, que ce soit en Guadeloupe de 1974 à 1981 comme inspecteur des douanes, en métropole, au ministère de l’outre mer, en cabinet ministériel ou dans le cadre d’associations. » Là , il pointe une « anomalie » persistante des « primes »de l’outre-mer.
Dans son tout dernier rapport (1) la Cour des comptes pointe la difficulté de maîtriser la masse salariale des trois fonctions publiques. Le gouvernement fera ses choix. Pour autant, commençons par diminuer et supprimer les abus manifestes.
Le 22 mai dernier, PerspekTives a publié l’excellent et non moins pertinent article de » La Nouvelle Héloïse » sur les indemnités temporaires de retraites que perçoivent, pour de longues années encore tous les fonctionnaires en retraite, pourvu qu’ils résident effectivement dans une COM (collectivité d’outre mer) et à la Réunion.
Une autre indemnité versée à certains fonctionnaires en activité dans les départements d’outre mer est sans fondement, injuste et inflationniste. Il s’agit de l’indemnité perçue par les douaniers dans le cadre du droit d’octroi de mer, alors qu’une autre destination de ces sommes importantes peut être envisagée.
Il n’est pas question ici et maintenant de contester le système fiscal de ces départements dans lesquels l’octroi de mer constitue une ressource importante des communes et de la Région tout en compensant un taux réduit de la TVA.
Comme chacun sait, l’octroi de mer, est une taxe perçue sur les marchandises introduites dans les départements d’outre mer et pour certaines, produites localement. Ce droit est perçu par les services des douanes essentiellement au profit des communes. Si les Conseil Régionaux sont maîtres d’oeuvre pour fixer les taux, les exemptions et les modalités d’exonération, ils agissent dans le cadre de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, votée conformément aux dispositions fixées par l’Union Européenne.
Cette loi dispose en son article 44 que » l’Etat perçoit sur le produit de l’octroi de mer un prélèvement pour frais d’assiette et de recouvrement égal à 2,5 % du montant dudit produit « .
En effet, l’article 42 de cette même loi ne dispose t-il pas que » l’octroi de mer et l’octroi de mer régional sont perçus, contrôlés et recouvrés par la direction générale des douanes et droits indirects, selon les règles, garanties, privilèges et sanctions prévus par le code des douanes. Les infractions sont constatées, réprimées et les instances instruites et jugées conformément aux dispositions du même code « .
Comme tous les fonctionnaires, en rémunération de leur travail effectué pendant les 35 heures hebdomadaires, les agents des douanes perçoivent un traitement, lequel est assorti d’un régime indemnitaire que l’on sait pour le moins confortable au ministère des finances dont ils dépendent. Bien entendu, comme tous les fonctionnaires en activités dans les DOM, les agents des douanes perçoivent la majoration de vie chère égale à 40 % de leur traitement.
Or, en plus de leur rémunération indiquée ci-dessus, les agents des douanes de tous grades et de toutes fonctions exerçant dans les départements d’outre mer bénéficient d’une indemnité égale à 25 % de leur traitement au titre de l’octroi de mer ! Cette indemnité est prélevée sur les 2,5 % des frais d’assiette.
En définitive, les douaniers des départements d’outre mer perçoivent leur traitement auquel s’ajoutent des indemnités de 65 % (40 25) et les primes finances.
La question peut se poser de savoir si les douaniers des départements d’outre mer travaillent 25 % de plus que leurs collègues de métropole dès lors qu’ils ont en charge la perception, le contrôle et le recouvrement du droit d’octroi de mer. Ce n’est pas le cas. Ils doivent 35 heures par semaine à leur administration et ils sont rémunérés en conséquence.
Cette indemnité de 25 % est donc un avantage tout à fait exorbitant du droit commun. La collecte d’un impôt ne peut justifier ce privilège que les fermiers généraux de l’ancien régime n’auraient pas renié. L’agent des douanes qui remplit sa mission de collecteur d’impôt n’a aucune légitimité à percevoir une partie de cette collecte. Cette prime constitue une évaporation non justifiée des recettes d’octroi de mer devant revenir aux collectivités des DOM.
On l’a vu plus haut, l’Etat a toute la légitimité de percevoir ces frais d’assiette dès lors qu’il met en place un dispositif humain et matériel nécessaire au recouvrement de l’OM destiné aux collectivités territoriales. Il en est ainsi par exemple du recouvrement de la taxe foncière et de la taxe d’habitation destinées elles aussi aux collectivités territoriales. Que dirions nous si les agents chargés de la perception de ces deux taxes percevaient une indemnité de 25 % prélevée sur le produit de ces impôts ?
Cette indemnité de 25 % constitue un abus manifeste, une évaporation illégitime des recettes d’octroi de mer qui doivent revenir normalement aux collectivités territoriales. De plus, nous sommes là en présence d’une injustice de traitement entre les fonctionnaires de ces départements d’outre mer mais également avec les fonctionnaires de métropole, en particulier ceux des services centraux de la direction générale des douanes et droits indirects, lesquels, à leur niveau, concourent également à la collecte du droit d’octroi de mer.
Enfin, ces rémunérations annexes et non moins importantes (25% du traitement), versées sans travail effectif correspondant, s’ajoutent à tous les éléments inflationnistes que connaissent les départements d’outre mer.
Poursuivre dans cette voie serait faire fi de l’illégitimité de l’indemnité, de l’injustice qu’elle provoque et de l’inflation qu’elle génère.
Supprimer le versement de cette indemnité aux agents des douanes ? Pourquoi pas ? Mais il convient de reconnaître que les intéressés ont peut être, voire s ûrement, prévu des investissements immobilier par exemple, eu égard à leurs revenus prévisibles.
Alors, immédiatement, on peut prévoir que les agents des douanes nouvellement affectés dans ces départements ne seraient pas éligibles à ces indemnités. Dans le passé, on a bien supprimé immédiatement les primes d’éloignement.
On peut envisager très rapidement le » gel » de ces indemnités en valeur absolue et à titre individuel pour chacun des bénéficiaires actuels.
Enfin, comme pour les ITR des collectivités d’outre mer, cette indemnité de 25 %, pourrait être supprimée totalement à une échéance relativement proche (4/5 ans).
En ces temps de disette budgétaire, les décideurs concernés (Etat, Régions, personnels) devraient pouvoir trouver une solution rapidement. Point besoin de loi. En effet, si les frais d’assiette de 2,5 % sont bien prévus par la loi du 2 juillet 2004, la répartition relève du règlement.
Ces sommes importantes ainsi récupérées pourraient constituer tout simplement une économie budgétaire mais comme l’administration l’a déjà fait dans les années 1974/1976, les sommes non dépensées relevant des frais d’assiette devraient être versées à leurs destinataires légitimes, les collectivités territoriales dans le cadre par exemple du fond régional pour le développement et l’emploi créé dans chacune des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion dans le cadre de l’article 49 de la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer.
Les niches fiscales infondées, les rémunérations scandaleuses, les injustices doivent être supprimées. Avec du courage, on peut le faire, sans oublier la concertation avec les intéressés et des mesures ajustées dans le temps. Ces sommes importantes devraient nécessairement abonder des ressources utilisées en faveur du développement économique et de l’emploi dans les régions concernés.
Les petits ruisseaux font les grandes rivières.
(1) http://www.acteurspublics.com/2014/06/17/le-temps-de-travail-et-les-effectifs-de-fonctionnaires-epingles-par-la-cour-des-comptes )