Une patate douce made in guadeloupe est meilleure d’un point de vue diététique et nutritionnel que n’importe quel produit importé à fort indice glycémique. La consommation de produits de proximité que ce soit en Guadeloupe ou ailleurs dans le monde est le premier pas vers un hypothétique développement durable. Alors faire baisser les prix des produits importés c’est bien, produire et consommer local, ce serait encore mieux. Le débat sur les prix à la consommation en Guadeloupe n’en finit pas. Pas assez de transparence, trop de monopoles et de situations acquises, une administration et des politiques qui ferment les yeux. L’essence est trop chère comme le litre de lait, le litre d’huile. Les économies insulaires, et pas seulement en Guadeloupe , sont de belles rentes de situation pour quelques lobbies bien placés si les pouvoirs publics, a priori soucieux de l’intérêt général, n’établissent pas des régles du jeu justes pour tous.
D’après le comparatif proposé par le LKP un sachet de pâte vaut 115,12% de plus en Guadeloupe que dans la région parisienne, un camenbert 110% de plus, un litre de lait 13% , une boite de corn flake 113% etc. Un résidant guadeloupéen expliquait récemment que pour changer les plaquettes de freins de son véhicule, un 4×4, il s’est rendu chez le concessionnaire de Jarry, la zone industrielle de Pointe-à -Pitre. Là , on lui a proposé un jeu de plaquettes pour 120 euros. Il les a refusées se demandant dans quel métal précieux, elles étaient fabriquées. Finalement il a fait venir les plaquettes de la région parisienne pour 59,47 euros: 40,97 pour le matériel et 18,50 de port. On pourrait multiplier les exemples.
Une fois que cela est dit, que ce constat est fait, on doit ajouter que nos vies ne peuvent pas être réduites à un modèle de consommation par ailleurs discutable. Est-il bien de se nourrir avec des corn flakes et du camembert ? Faut-il nécessairement rouler en 4×4 ?
Doit-on vivre/consommer de la même manière sur un territoire de 1628 km2 posé entre mer des Caraïbes et océan Atlantique, dans une banlieue d’Europe faite de cités et d’autoroutes ou bien encore dans une île de l’océan Indien.
Des décennies d’eurocentrisme martelé, de modèle dominant imposé, de parisianisme idéalisé par les institutions et les médias ont fait des dégats. Faut-il en rester là en attendant le prochain épisode d’une histoire qui n’a peut-être pas dit son dernier mot ? On parlait moins ou pas du tout il y a dix ans de développement durable, d’économie d’énergie, de gestion maîtrisée. Les questions qui se posent aujourd’hui en Guadeloupe recoupent celles du reste de la planéte: peut-on continuer à consommer aveuglément des produits qui ont parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver dans notre assiette. La stratégie du tout contener et les sociétés qui font de beaux bénéfices grâce à elle nous conduisent dans le mur, en continuant à nous proposer , malgré le cri d’alarme du mouvement social de 2009, malgré la crise économique , un mode de vie et de consommation qui ne correspond pas à ce dont nous avons vraiment besoin.
Penser global nous conduit à croire que le meilleur modèle de consommation est celui de la proximité, du marché local et pas celui de la ménagère qui vit à 7000 kilomètres. Et si c’est vrai en Guadeloupe c’est aussi est vrai ailleurs.
La tentative de l’Insee dans son rapport sur les prix publié en juillet dernier, d’étudier les écarts en pondérant par les modes de vie et de consommation d’un territoire à l’autre n’est pas sans intérêt. C’est une manière de distinguer des façons différentes de vivre, de se nourrir, de se divertir, bref de nuancer une vision uniforme et mondialisée des pays et des territoires au sein desquels nos vies seraient banalisées, confondues réduites au » prosaïque ». Refuser l’uniformité en somme, l’acculturation.
L’Insee va au plus simple: la part des dépenses de cinéma, de théâtre, de restaurant est moindre dans le budget d’une famille vivant en Guadeloupe plutôt qu’à Paris. Est-ce étonnant ? D’autres manières de se divertir existent dans la Caraïbe que « se faire une toile et un resto ». La Guadeloupe qui cultive un certain sens de la convivialité et de la fête, le sait . Ainsi les dépenses vont ailleurs, fêtes à la maison, pique-nique géant à la plage, lewoz qui bien souvent sont gratuits etc.
En Seine-St-Denis ou à Toulouse il est rare de cueillir les fruits sur l’arbre, ici en Guadeloupe, cela arrive encore, tout comme les relations de bon voisinage qui font les bons échanges. Il est vrai que ce type de relations tend à disparaître, beaucoup de fruits à pain, de mangues, de quenettes se perdent.
L’échappatoire pour ne pas être « confondu » est donc la consommation locale. La Guadeloupe ne produira jamais de camembert mais elle a ses propres produits dont la culture pourrait être améliorée et valorisée si l’on sortait un instant, comme le disait un vieil agriculteur du pays: « de la spirale sans fin de la banane et de la canne ». Le pays ne pourrait-il pas transformer plus qu’il ne le fait déjà ses fruits et légumes pour produire local et réduire ses importations alimentaires ? Est-ce si utopique ?
Dans le débat guadeloupéen sur l’économie, le prix des produits à la consommation, le monopole des supermarchés, la comparaison un peu lancinante entre le panier de la ménagère parisienne et de la ménagère pointoise , les incontournables 40% des fonctionnaires reviennent comme des leitmotiv. Consommation et seulement consommation comme si le seul enjeu possible était de faire baisser le prix du caddie pour consommer plus et « soutenir le marché » ainsi que le disent les économistes libéraux; ou bien encore comme si on demandait à la République d’avoir pour ambition de vendre à un prix identique le camembert, de Strasbourg à Vieux-Habitants par delà l’océan Atlantique.
Demandons à la République de ne pas confondre ses territoires, de ne pas protéger des chasses gardées au profit de quelques privilégiés, d’instaurer plus de liberté et d’égalité entre chaque citoyen, de soutenir voire d’initier des projets de développement. C’est possible.
Il serait injuste de terminer sans dire que la Guadeloupe a ses créateurs qui ont réussi à imposer une idée, un projet, un produit. Parmi les plus emblématiques le Dr Joseph qui a valorisé les plantes médicinales et aromatiques du pays. Son fameux Virapic 100% local est efficace pour renforcer les défenses de l’organisme.
Dans un entretien qu’il a accordé au site lanutrition.fr il associe la consommation de produits locaux aux équilibres alimentaires justes et à une bonne santé. Toutefois, il regrette que la population consomme essentiellement des produits importés et raffinés à haut indice glycémique.
Pourquoi consomme-t-on tant de pommes de terre plutôt que des patates douces ? Sa réponse : » La patate douce a un faible indice glycémique, c’est un produit plus sain et meilleur pour la santé du consommateur que n’importe quel légume importé. Mais le circuit de distribution n’est pas assez organisé en Guadeloupe, la production hétérogène, la valeur nutritive méconnue. Cette racine n’a pas une bonne image et il n’y a pas de produits transformés à partir de la patate douce. »
Rétablir l’image de la patate douce, voilà ce qui reste à faire.
En février 2009, lorsque un fort mouvement social a secoué la Guadeloupe et la Martinique, en réclamant la baisse des prix et l’amélioration des bas revenus, neufs intellectuels martiniquais ont signé un manifeste pour les « produits de haute nécessité » L’aurait-on oublié ? Un beau texte mélant vision d’une société, philosophie, utopie et préoccupations sociales. Ernest Breleur, Patrick Chamoiseau, Serge Domi, Gérard Delver, Edouard Glissant, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar, Jean-Claude William l’ont signé. Voici trois extraits pour mémoire.
« Derrière le prosaïque du « pouvoir d’achat » ou du » panier de la ménagère » , se profile l’essentiel qui nous manque et qui donne du sens à l’existence, à savoir : le poétique. Toute vie humaine un peu équilibrée s’articule entre, d’un côté, les nécessités immédiates du boire-survivre-manger (en clair : le prosaïque) ; et, de l’autre, l’aspiration à un épanouissement de soi, là o๠la nourriture est de dignité, d’honneur, de musique, de chants, de sports, de danses, de lectures, de philosophie, de spiritualité, d’amour, de temps libre affecté à l’accomplissement du grand désir intime (en clair : le poétique).
Comme le propose Edgar Morin, le vivre-pour-vivre, tout comme le vivre-pour-soi n’ouvrent à aucune plénitude sans le donner-à -vivre à ce que nous aimons, aux impossibles et aux dépassements auxquels nous aspirons (…)
Ouvriers et petits patrons, consommateurs et producteurs, portent quelque part en eux, silencieuse mais bien irréductible, cette haute nécessité qu’il nous faut réveiller, à savoir : vivre la vie, et sa propre vie, dans l’élévation constante vers le plus noble et le plus exigeant, et donc vers le plus épanouissant (…)
Ce qui revient à vivre sa vie, et la vie, dans toute l’ampleur du poétique. On peut mettre la grande distribution à genoux en mangeant sain et autrement. On peut renvoyer la Sara et les compagnies pétrolières aux oubliettes, en rompant avec le tout automobile.
On peut endiguer les agences de l’eau, leurs prix exorbitants, en considérant la moindre goutte sans attendre comme une denrée précieuse, à protéger partout, à utiliser comme on le ferait des dernières chiquetailles d’un trésor qui appartient à tous.
On ne peut vaincre ni dépasser le prosaïque en demeurant dans la caverne du prosaïque, il faut ouvrir en poétique, en décroissance et en sobriété. Rien de ces institutions si arrogantes et puissantes aujourd’hui (banques, firmes transnationales, grandes surfaces, entrepreneurs de santé, téléphonie mobile…) ne sauraient ni ne pourraient y résister (…)
Alors voici notre vision :
Petits pays, soudain au coeur du nouveau du monde, soudain immenses d’être les premiers exemples de sociétés post-capitalistes, capables de mettre en oeuvre un épanouissement humain qui s’inscrit dans l’horizontale plénitude du vivant….