On parlera de la Grèce en ce début d’année 2015, en panne de gouvernance, avec le parti Syriza qui attend son heure. Parlera-t-on autant de la Nouvelle Calédonie dont le gouvernement est démissionnaire depuis le 16 décembre dernier. Une crise politique qui intervient dans la dernière phase du processus de « décolonisation ».
C’est loin la Nouvelle Calédonie, plus loin que la Grèce à une vingtaine d’heures d’avion de Paris. La démission de trois ministres du gouvernement de l’archipel ne fait pas la une des journaux. Voici l’histoire qui nous vient de ce » bout de France postcoloniale » survivant dans l’océan Pacifique.
En mai 2014 le congrès de la Nouvelle Calédonie majoritairement à droite et non indépendantiste a élu un gouvernement et un président issus d’un » contrat de gouvernance solidaire » . Cette alliance des partis de droite ( FPU et UCF proche de l’UMP et Calédonie ensemble proche de l’UDI) a volé en éclat le 16 décembre 2014 avec la démission des trois ministres du CE qui protestaient contre le refus du FPU de voter de nouveaux impots locaux pour renflouer les régimes sociaux du territoire et les caisses des collectivités.
Le 31 décembre quand le congrès s’est réuni pour désigner un nouveau gouvernement, les mêmes sont sortis des urnes , ce qui a renforcé l’impasse.
Le gouvernement calédonien, instrument du processus d’émancipation du pays initié par les accords de Nouméa détient un pouvoir exécutif et réglementaire. Il est composé de 11 ministres (6 non indépendantistes et 5 indépendantistes) et élit un président et un vice-président. Le 31 décembre, la présidente sortante, Catherine Ligeard (FPU) n’a obtenu que deux voix et Philippe Germain (CE), trois.
Les indépendantistes et le troisième parti de la coalition de droite, l’ UCF ( Union pour la Calédonie dans la France) se sont abstenus, bloquant ainsi le processus de vote. Sans légitimité, l’ancienne équipe est paralysée et ne peut pas gouverner. Le pays fonctionne au ralenti grâce aux assemblées provinciales qui détiennent une large autonomie.
Cette situation de blocage institutionnel peut durer voire aboutir à de nouvelles élections provinciales pour rebattre les cartes et changer les rapports de force entre partis.
Les indépendantistes observent la guerre pour le pouvoir chez leurs adversaires politiques, dénoncent une « situation ubuesque » et accusent « Calédonie ensemble » de bloquer le système dans l’espoir, in fine, de le contrôler . Avec 15 sièges CE est le premier parti du congrès, mais n’a pas de majorité.
Ces tensions et cette guerre des chefs est à rapprocher du processus politique en cours en Nouvelle-Calédonie: des enjeux historiques approchent, les électeurs vont devoir faire des choix décisifs, rester ou pas dans le giron français ; les politiques devraient être à la hauteur, le sont-ils ?
La Nouvelle Calédonier doit organiser au plus tard en 2018 un réferendum d’autodétermination, dernière étape du processus de décolonisation du territoire. C’est au congrès d’organiser le référendum. Les accords de Nouméa ont été rédigés pour conduire la Nouvelle Calédonie vers l’émancipation, le processus n’est pas réversible. Toutefois, les électeurs calédoniens ont la possibilité de rompre rapidement avec la France ou de prendre le temps de réflèchir car le référendum est à plusieurs coups.
Si à la première consultation une majorité se dégage pour l’indépendance, l’affaire est conclue et le pays se séparera de sa » mère patrie ». Si le vote est majoritairement opposé à l’indépendance le congrès a la possibilité d’organiser un second référendum pour demander aux électeurs » si vraiment ils ne veulent pas être indépendants. » Et si la réponse est encore non, les accords prévoient la possibilité d’organiser un troisième réferendum.
La derniere phase des accords de Nouméa intervient dans un climat d’instabilité politique, institutionnelle et économique qui n’existait pas il y a dix ans. La Nouvelle Calédonie était en croissance, le nickel , dont le pays détient le quart des ressources mondiales, se vendait bien et le chômage était bas. Fin 2014, la situation est tout autre : chômage en hausse, économie au ralenti et stagnation du cours mondial du nickel. Les transferts sociaux, les primes aux fonctionnaires pour venir travailler au soleil, les » retraites – cocotiers », la défiscalisation dont une partie de la société calédonienne a profité comme le reste de » l’outre-mer français », ont créé une économie et une société de consommation artificielles qui pourraient ne pas durer. C’est dans ce contexte que les accords de Nouméa doivent se conclure.
Quoi qu’il en soit, le processus de » décolonisation » étant irréversible l’intégration ou le » retour » à la France est impossible. La Nouvelle Calédonie ne sera jamais un département français !
Etat pleinement souverain ou Etat associé à la France c’est vers l’un de ces cas de figure que l’on se dirige. Si la solution intermédiaire est retenue ( Etat associé) ce ne sera pas nouveau dans cette partie du Pacifique : les îles Cook, indépendantes sont associées à la Nouvelle Zélande, leurs habitants ont gardé la nationalité néo zélandaise et le droit de libre circulation an Australie. Dans le cas de la Nouvelle Calédonie, on peut évidemment discuter de l’opportunité d’un « Etat associé » distant de 20 000 kilomètres de sa « métropole ».
Les calédoniens ont quatre ans pour mener à bien ce processus dans un climat politique pour le moins instable. Les Kanaks, premiers habitants de l’archipel, observent et agissent avec la crainte d’être minoritaires dans leurs pays, submergés par les vagues démographiques qui se sont installées au cours des années 2000. Les Kanaks représentent environ 45% du corps électoral de la Nouvelle Calédonie et 50% du corps électoral restreint qui pourra participer aux référendums. Il faudra justifier de 20 ans de résidence en continu dans l’archipel pour participer au processus d’autodétermination. Les « métros » arrivés dans les dix dernières années en seront exclus. Cela fait grincer des dents mais il fallait protéger la spécificité Kanak des bouleversements démographiques qui à une époque ont été favorisés et encouragés par l’Etat français.
Pour réussir la décolonisation de la Nouvelle Calédonie, il faudra que des alliances politiques fortes, constructives et majoritaires se dessinent pour échapper à la guerre des chefs et des clans tant du côté indépendantistes que non indépendantistes, sinon l’éclatement et la balkanisation des pouvoirs rendront compliqué, l’achèvement, dans la sérénité, des accords de Nouméa