La comptabilité et les tuyaux percés des gestionnaires de l’eau en Guadeloupe

Le sujet n’est pas nouveau. On y revient car en période électorale on pourrait imaginer que les candidats évoquent la question de l’eau, fassent des constats, proposent des solutions, comme le passage en régie. Ce n’est pas le cas. La société civile, les électeurs, les citoyens doivent s’emparer du sujet .

 Situation vécue au mois de mars 2015 dans une commune de la Grande-Terre en Guadeloupe : un candidat au conseil départemental fait bruyamment sa campagne avec haut parleur et voix tonitruante, il affirme qu’il va oeuvrer pour le canton, la cohésion, le développement etc … Nous sommes en fin de journée, depuis le matin, l’eau courante n’arrive pas aux canalisations de la maison. Pas d’eau, impossible de se laver, de faire la vaisselle … Si la garantie d’accés à  une eau de qualité à  un prix raisonnable et le signe de développement d’un pays, alors la Guadeloupe et ses politiques ont un petit bout de chemin à  faire. La société civile guadeloupéenne aussi, qui ne doit pas accepter que ses membres soient considérés comme  » citoyens de seconde zone » prêts à  tout accepter.

Si le réseau d’eau ne fonctionne pas, si certains rouages de la société sont grippés la population est en droit de demander des comptes aux élus, actuels et à  venir. Faire de la politique consiste à  oeuvrer pour l’intérêt général et pas seulement à  briguer un fauteuil , quelques privilèges et parcelles de pouvoir.

De passage récemment en Guadeloupe, Jean-Luc Touly, ancien cadre chez Véolia et syndicaliste, devenu agitateur et lanceur d’alerte a expliqué comment intervenir en toute légalité auprés des politiques pour leur demander des comptes sur les tuyaux et la comptabilité percés des gestionnaires de l’eau en Guadeloupe.

La relecture du rapport de la cour des comptes publiés en 2012 sur la gestion du syndicat intercommunal d’alimentation en eau et assainissement de la Guadeloupe ( SIAEAG) devrait inciter tous les abonnés à  agir. Ce document est disponible en ligne : ( http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Syndicat-intercommunal-Syndicat-intercommunal-d-alimentation-en-eau-et-d-assainissement-de-la-Guadeloupe-SIAEAG-Le-Gosier-Guadeloupe.) Pour ceux qui ne voudraient pas lire son intégralité, voici un petit et édifiant résumé.

Le Siaeag est le principal établissement public gestionnaire de l’eau en Guadeloupe. Il regroupe 11 communes ( Saint-François, les Saintes, Capesterre, Goyave, Petit-Bourg, Baie-Mahault, St Anne, Le Moule, Gosier, La Désirade) et approvisionne en eau d’autres communes, au nord-grande-terre notamment. Le syndicat est géré par un comité de 26 membres représentant chaque commune. Le service de l’eau est assuré nn par le biais d’un contrat entre le syndicat et la générale des eaux de Guadeloupe. Donc délégué au privé depuis 1968.

Gestion floue, fuites d’eau et manque de compétence
Manque de compétence dans la gestion, insincérité des comptes, mauvais état du réseau, absence d’organigramme et de fiche de poste, train de vie élevé  » totalement déconnecté du régime d’indemnisation des agents publics » le rapport de la cour des comptes est assez accablant

En 2012, le budget annuel du syndicat était de l’ordre de 130 millions d’euros. L’analyse de la cour des comptes montre que le syndicat, en théorie, a des capacités propres d’autofinancement, autrement dit, le prix du service, ce que paient les abonnés devrait être en mesure de financer ce service et l’entretien du réseau. Sauf qu’au Siaeag cela ne fonctionne pas ainsi. La sous-évaluation chronique des amortissements nécessaires pour financer l’entretien et l’équipement des réseaux et l’importance des créances non recouvrées obligent le SIAEAG à  emprunter: entre 2006 et 2010 la dette a augmenté de 23,4%.

La cour des comptes a noté qu’aucune convention correctement formalisée n’a été passé avec des communes clientes du SIAEAG : Cap Excellence, Lamentin et le syndicat intercommunal des Grands-Fonds. D’oà¹, l’augmentation sans concertation du prix de l’eau , jugée excessive par ces  » gros clients », n’a pas été acceptée, provoquant une accumulation de créance. Cette gestion floue a des conséquences sur le petit abonné, qui dans certaines communes paie le prix fort, et sur l’état du réseau. En Guadeloupe 50% de l’eau traitée et produite pour être distribuée n’arrive pas à  vos robinets, elle se perd en chemin par les fuites et fissures de tuyaux mal entrenus et mal renouvelés. Un retard considérable a été pris dans les travaux de maintenance.

Parmi les causes, la cour des comptes pointe l’absence d’organigramme et de fiches de postes. Deux exemples : Le service assainissement collectif qui compte un ingénieur dans ses effectifs est dirigé par un technicien. Le chef de service a un niveau de formation et une compétence inférieure à  l’un de ses subalternes. Une situation pour le moins curieuse, même si elle n’est pas rare en Guadeloupe

Autre exemple, en 2012 le service financier comptait trois agents dont un seul de catégorie C.  » C’est insuffisant pour la charge financière et comptable d’un budget de 130 millions d’euros (…) Le manque de compétence interne en matière juridique et financière nuit à  la sécurité des contrats et à  la sincérité des comptes … » accuse cruellement la cour des comptes .

Train de vie pas compatible avec le service public
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Le SIAEAG dépense des sommes considérables dans les missions, les déplacements, les réceptions et la communication, pour des résultats qui demandent à  être précisés et évalués. – 6 903 880 d’euros qui ont été dépensés de 2005 à  2011, soit l’équivalent de 7 mini stations d’épuration, comme celle de Calvaire à  Baie-Mahault ou de deux stations d’épuration comme celles de Saint-François, ou bien encore de deux années de capacité d’autofinancement …  » Telle est la synthése de la cour des comptes sur le train de vie du SIAEAG au cours des six années analysées, de 2005 à  2011. Tout est dit : la gestion approximative du syndicat durant ces années n’a pas empêché quelques personnes de s’octroyer des dépenses somptuaires aux frais du contribuables.

Sans les citer toutes, voici quelques unes des dépenses « incongrues » relevées dans le rapport.

2,7 millions d’euros ont été dépensés entre 2006 et 2010 en frais de mission.

Exemple: le salon Pollutec à  Lyon, pour 5 agents et deux élus, six jours à  Lyon pour 18 035 euros, dont une chambre à  530 euros la nuitée.

Un élu en formation pour 15 jours sur le thème  » communiquer efficacement sur son budget: facture 6525 euros.

Une délégation de 4 élus et de 3 administratifs au départ de la Route du Rhum le 23 octobre 2010: facture 27 780 euros. La cour des comptes souligne que la somme alloué à  la course par le Siaeag était cette année là  de 15 000 euros. Les frais de déplacements sont plus élevés que le sponsoring ! Cherchez l’erreur.

Arrêtons là , par indulgence, une énumération scandaleuse au regard du service public. Ces dépenses devraient être marginales, elles sont démesurées pour un service dont l’objectif principal n’est pas la communication et la représentation, mais l’acheminement d’une eau de qualité au meilleur co ût possible au domicile de chaque abonné.

La société civile peut/doit demander des comptes
Lors de son passage en Guadeloupe, Jean-Luc Touly a participé à  plusieurs réunions ( à  Port-Louis invité par les Amis du Monde diplomatique – au Lamentin avec le LKP, à  Bouillante)

Il a fourni des éléments pour que les abonnés accédent aux rapports sur la gestion et la qualité de l’eau dans leurs communes. Munis de ces documents, les abonnés peuvent, si cela est nécessaire, porter la contestation.

La procédure: par territoire il faut adresser un courrier au président de l’exécutif ( avec double aux maires de chaque commune) en demandant dans un délai de 30 jours les copies des contrats et avenants; les rapports 2012 et 2013 des différents délégataires les rapports pour les mêmes périodes sur la qualité et le prix de l’eau potable et d’assainissement ainsi que les comptes annuels de résultats d’exploitation (CARE)

Sans réponse au bout de trois mois il reste le recours à  la CADA ( commission d’accés aux documents administratifs) qui devra fournir ces documents dans les 30 jours.

« Avec ces documents, les abonnés sont en mesure de poser les bonnes questions et éventuellement d’ester en justice s’ils trouvent des anomalies et des dérives. »

Il s’agit certes d’un travail de longue haleine, d’un parcours administratif compliqué, mais réalisable. En Guadeloupe la mobilisation d’associations et de quelques citoyens a permis de mettre fin à  l’épandage aérien de pesticides. Alors pourquoi ne pas obtenir, pour l’intérêt de tous, plus de rigueur dans la gestion de l’eau.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour