Comment peut-on être noir dans un monde de blancs ? Sur fond d’affaire de Fergusson, d’émeutes à Baltimore et chez nous de polémique sur le Mémorial act, le cinéma indépendant américain aborde de manière iconoclaste la question des relations – non apaisées – entre les deux communautés. Ce film jeune, vif, parfois dérangeant, est sur la bonne voie, celle d’un avenir qu’on souhaite meilleur.
Dans l’université fictive de Winchester, inspirée des meilleures universités américaine, des étudiants blancs et des étudiants noirs cohabitent. Cela aurait pu être une comédie universitaire de plus comme le cinéma américain en a produit des dizaines, mais Justin Simiens, le jeune réalisateur de 32 ans a détourné le genre en faisant poser aux étudiants noirs ce délicat problème : » faut-il réserver des dortoirs aux étudiants noirs exlusivement ou bien attribuer les chambres de manière alléatoire, sans tenir compte de la couleur des uns et des autres ? »
Sam, étudiante activiste, leader des pensionnaires noirs, propose dans un programme assez radical, de rendre un dortoir accessible uniquement aux noirs. On la voit chasser de la cantine des étudiants blancs, qui ne sont apparamment pas à leur place. Une fois élue à la tête de l’assocation des étudiants noirs – ce qu’elle ne pensait pas voir arriver – elle mesure l’écart entre la théorie et la pratique; la radicalité d’un propos et la gestion quotidienne des affaires. Cet écart n’est pas sans rappeler le monde réel et le fossé qui sépare, en politique, la posture et la vraie vie. Autre paradoxe, si banal, Sam, militante radicale de la cause noire, sort en cachette avec un blanc. Ah, l’amour !
Sans leçon de morale, ni lourdeur idéologique le jeune réalisateur réussit à mettre chacun à sa place : les étudiants noirs gâtés qui se prennent pour Malcom X; les étudiants noirs peu révoltés qui veulent s’intégrer à tout prix dans une société majoritairement blanche, mais qui au fond est la leur; des étudiants blancs paternalistes voire dominateurs et des étudiants blancs » sympathisants de la cause noire ».
Tous ont de bonnes raisons d’agir mais aucun n’a complétement raison, ni complétement tort. Pas plus Coco que les autres. Coco est une jeune noire américaine qui rêve d’être connue, voir son nom dans les journaux et animer un show grand public à la télévision.
La finesse du film, dans une Amérique tourmentée et un monde traversé d’identités souvent meurtières, est de ne pas distribuer de bons points, ni de mauvais tout en mettant des images, des mots et quelques fois des rires ou des sourires sur le malaise.
Un temps fort du film est la soirée costumée organisée par une association d’étudiants majoritarement blancs sur le thème » libérez le négre qui est en vous ». Cette soirée fait scandale, en méritait-elle autant ? Tragédie ou comédie ? Comme le film d’ailleurs, » Dear white people » qu’on hésite à classer: s’agit-il d’un drame, d’une satyre, d’une comédie ou d’ autre chose encore.
Des critiques ont parlé à propos de ce film d’Ovni cinématographique, inclassable. Issu du cinéma indépendant américain DWP, produit grâce à des finacements participatifs, est très loin de » Selma » ou de « Twelves years slave » films historiques qui abordent la question raciale aux USA de manière classique voire pédagogique. Là nous sommes dans un autre registre, celui de l’improvisation, un peu brouillone parfois, très déjantée et porteuse en tout cas des couleurs du temps.
Le metteur en scéne est jeune, les acteurs aussi, le monde à construite leur appartient et pour tout dire ils ont beaucoup d’humour et une sacré pêche. C’est de bonne augure pour l’avenir, même si le présent a des apparences, parfaitement sombre.
Détail. La jeune actrice, Tessa Thompson qui joue le rôle de Sam dans DWP incarnait dans « Selma » une « vraie » militante activiste noire des années 60 aux USA; dans » Dear white … » elle est activiste toujours, et mesure les limites de son engagement politique dans une université chic qui sélectionne les meilleurs étudiants des Etats-Unis et les dorlotte dans des établissement yuppies. C’est bien vu de la part du metteur en scéne. Par delà ses défauts, et il en a, ce pays sait reconnaître les meilleurs parmi les siens, » même » lorsqu’ils sont Noirs. Pas un hasard sans doute si ce film sort sous la présidence Obama, qui est passé lui-même par ce genre d’université. Mais sélectionner les meilleurs par delà leurs couleurs de peau, ne suffit pas à changer la société et la rendre meilleure. Ne serait-ce pas là le message d’un film qui ne prétend pas être un » film à message » ?
A voir s’il passe sur un écran dans votre ville.