Au mois d’ao ût, avec quatre ans de retard, les Haïtiens ont voté pour élire leurs députés et renouveler un tiers du sénat. Des incidents et une faible participation (18%) ont caractérisé ce vote. Des partis de l’opposition demandent l’annulation. Le 25 octobre les électeurs vont élire un nouveau président de la République. Plus de 50 candidats sont en lice, la voie des urnes peut devenir labyrinthe à Haïti.
Si l’on s’en tient aux commentaires du pouvoir en place et des observateurs internationaux les élections législatives du mois d’ao ût se sont plutôt bien passées à Haïti; si on lit la presse indépendante et les commentaires des organisations non étatiques, le son de cloche est différent. Il y aurait eu 4% de fraude selon les uns et 45% selon les autres.
Une coalition de trois organisations haïtiennes – RNDDH (réseau national de défense des droits humains; le CNO ( conseil national d’observation des élections) et le CONHANE ( conseil haïtien des acteurs non étatiques) dénoncent ces élections du 9 ao ût dans un rapport publié sur le site rnddh.org.
Au-delà des irrégularités, des fraudes et de la violence autour des bureaux de votes « accrocs aux normes démocratiques », cette coalition observe que seulement 70% des procés-verbaux ont été validés, 30% n’étant pas jugés fiables. Si on enlève aux 18% de participation, les 30% des procès-verbaux inutilisables, cela signifie que moins de 15% des haïtiens ont réellement participé au premier tour des législatives. Peut-on dire que ce scrutin est représentatif de la population haïtienne ?
» Ce ne sont pas des élections », accuse le RNDDH, « c’est un » jeu de coquins » dans lequel tous veulent gagner à n’importe quel prix. » Le peuple haïtien lassé, assiste en spectateur à cette comédie de la prise de pouvoir et de son contrôle par des groupes de pression qui n’ont rien de partis politiques débattant réellement de l’avenir du pays et de l’intérêt général.
Depuis deux siècles Haïti, première république à se défaire en 1804 du joug colonial et esclavagiste, est en souffrance. De coups d’Etat en dictatures le pays n’a pas réussi à instaurer des relations apaisées entre le pouvoir et la population. La fracture est toujours présente entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent; entre les très riches et les démunis, ceux qui possédent et ceux qui n’ont rien. Depuis l’assassinat de Dessalines en 1806 – autoproclamé empereur sous le nom de Jacques 1er – deux après l’indépendance, puis la lutte acharnée entre Pétion et Christophe, Haïti semble condamnée à une perpétuelle et vaine guerre des chefs qui plonge le pays dans des chaos successifs. Le peuple haïtien, si créatif et inventif, capable d’une étonnante résilience, méritaient mieux que ces potentats ambitieux et despotiques, sans vision pour leur pays.
Haïti est un pays dans lequel les aides et les investissements venus de l’étranger par le biais d’une multitude d’Ong plus ou moins bienveillantes, pèsent plus que l’action de l’Etat. L’aide de la communauté internationale est parfois ambigue mais elle est indispensable au fonctionnement du pays. Les Ong pallient la défaillance d’un service public qui ne fonctionne pas ou mal notamment en matière d’éducation et de santé. Haïti financé par l’aide internationale, n’est pas vraiment maître de son destin, mais comment sortir de ce cycle infernal ? Dans son excessive fragilité et dépendance, ce pays qui a subit révolutions, crises, dictatures et catastrophes naturelles, reste pourtant debout.
A ce jour, l’une des conditions pour redresser le pays, changer la donne, le doter d’un Etat stable et mettre fin aux crises, est l’organisation d’élections libres, transparentes, avec un résultat accepté et acceptable par la population. Ces conditions réunies mettraient par ailleurs un terme à la fuite et peut-être au retour des dizaines de milliers d’ haïtiens qui fuient le pays depuis plus de quarante ans pour réussir leur vie ailleurs et parfois pour la sauver. Mais lorsqu’on lit la presse haïtienne et certains commentaires indépendants toutes les conditions ne sont pas encore réunies.
Tout d’abord, organiser des élections nécessite une adlministration forte, des listes électorales indiscutable et la maîtrise du nombre des inscrits et des votants. A Haïti, l’état civil imprécis est une question récurrente. Le dernier recensement remonte à 2003 établissant une population de 8,3 millions d’habitants. Il y aurait en 2015 environ deux millions d’habitants supplémentaires, estimations approximatives. On peut comprendre que les Haïtiens ne fassent pas confiance au suffrage universel et à ceux qui l’organisent: dans le passé, la majorité des élections ont été contestées et furent parfois caricaturales : Duvalier organisait des élections sans listes électorales, ce qui ne l’a pas empêché en 1961 d’être « élu » avec quasiment 100 % des suffrages. Cette tragique comédie n’est pourtant pas une fatalité.
L’implication citoyenne et la participation des électeurs sont rendus possibles quand un Etat et des partis politiques respectent les citoyens. Le premier tour des législatives en ao ût dernier indique que ce n’est pas encore le cas dans un pays o๠persistent l’achat de vote, le clientélisme, le bourrage des urnes, la violence entre candidats et envers les électeurs, ainsi qu’une insécurité latente le jour du scrutin.
Il existe à Haïti un conseil électoral permanent ( CEP) qui a la charge d’organiser et de contrôler le déroulement du scrutin. Le fait-il ? Depuis le mois d’ao ût, l’efficacité du CEP est mise en cause par les partis de l’opposition et par la presse: « Rongée par la mauvaise gouvernance depuis plusieurs décennies, Haïti ne connaîtra pas en cette fin d’année 2015 d’élections crédibles, car l’administration Martelly n’a pas divorcé d’avec les méthodes archaïques des gouvernements antérieurs dans la conduite des joutes électorales » écrit Lemoine Bonneau, éditorialiste du Nouvelliste le quotidien de Port-au-Prince. Certains à Haïti pensent que le calendrier électoral ne pourra pas être respecté, tandis que d’autres assurent qu’il n’est plus possible de reculer et que « quelque chose de bon » peut sortir de ces urnes.
Peut-on organiser des élections crédibles quand plus de 160 partis politiques sont inscrits au CEP et quand plus de 50 candidats s’engagent dans la course au pouvoir, dans un pays de 10 millions d’habitants ? ( Au premier tour des législatives il y avait plus de 1800 candidats pour 139 sièges) Cette abondance n’est pas le signe d’une démocratie qui fonctionnerait trop bien, mais plutôt le signe de la difficulté à bâtir des alliances autour de programmes et d’idées. Chacun tente sa chance et cette dilution, au fond, arrange les partis dominants.
Le cycle des troubles et des crises sociopolitiques peut-il cesser à Haïti ? Sans doute, si le pays réussit à dépasser une organisation sociale figée et hierarchisée à l’extrême au sein de laquelle une sorte d’élite au pouvoir a toujours fait preuve de plus de mépris que de respect pour le peuple et les haïtiens modestes. Ce ne sera pas facile tant l’histoire tourmentée, les traditions, les religions et une sorte de fatalisme marquent la société. Mais il faut l’espèrer pour ce pays emblématique de la Caraïbe.
Le processus électoral en vue des présidentielles haïtiennes est accompagné et financé par le programme des nations unies pour le développement (PNUD). Un fond de 44 millions de dollars a été constitué abondé pour 13 millions par Haïti, 11 millions par les USA, 7 millions l’Europe, 5,3 millions le Canada, 4,5 millions le Japon et 3 millions le Brésil. Un document du PNUD indique que le décret électoral n’interdit pas d’acheter du matériel à l’étranger. Le document précise que des véhicules ( 4×4, motos …) seront achetés à Haïti; mais le bureau des achats du PNUD basé au Danemarck a trouvé un imprimeur – sans doute le plus intéressant du marché (sic) à Dubaï ( Emirats-Arabes-Unis) – à une vingtaine d’heures d’avion de Port-au-Prince, pour imprimer les bulletins de vote des presque six millions d’électeurs haïtiens.
Le matériel dit » non sensible », urnes en carton, encre indélébile ont été commandés à une société basée en Afrique-du-sud, Lithotech. Plus de quarante heures d’avions aller-retour. Pour élire leur président les Haïtiens vont mettre des bulletins de vote imprimés à Dubaï dans des urnes qui auront voyagé d’Afrique-du-sud vers la Caraïbe. Tout cela est-il bien raisonnable ? Le marché régional de la Caraïbe ou des pays d’Amérique centrale n’est-il pas en mesure de répondre à ce type de commandes ? Que fait le PNUD de l’empreinte carbone de ses achats et du co ût du transport ? Tout cela ne paraît pas très compatible avec les idées d’économies et de développement durable. Est-ce que les Haïtiens ont eu leur mot à dire dans ce choix ?