Le deuxième tour des élections présidentielles n’a pas eu lieu le 24 janvier. Haïti traverse une nouvelle crise politique et sociale. Le gouvernement Martelly n’a pas su mener à son terme la » transition démocratique » nécessaire aux pays. Comment le pays va-t-il se tirer de cette nouvelle impasse ?
Au mois d’octobre dernier sur ce site, un précédent article sur les élections à Haïti se terminait ainsi : » La journée électorale du 25 octobre, relativement apaisée ouvre peut-être la voie à des temps nouveaux au pays de Dessaline. Le peuple haïtien le mériterait. ».
Trois mois plus tard après la date – 24 janvier – sans cesse reportée d’un second tour qui n’a pas eu lieu, Haïti est à nouveau dans la tourmente. L’opposition, la rue, le peuple, Jude Célestin, challenger de Jovenel Moïse, le candidat du président sortant et même le sénat haïtien n’ont pas fait confiance au pouvoir en place pour garantir un deuxième tour équitable. » Je ne participerai pas à cette mascarade électorale » a déclaré Jude Célestin.
C’est l’échec. Le pays a acheté des urnes, imprimé des bulletins de vote, bien loin d’Haïti, à Dubaï ( Emirats-arabes-unis), aux frais de la communauté internationale, un premier tour a été organisé, des candidats ont fait campagne et tout cela pour rien. En coulisse pendant que sur la scène se jouait un vrai/faux processus démocratique d’autres forces moins avouables, moins transparentes manipulaient le scrutin.
Beaucoup ont voulu y croire, voyant là une « chance » pour Haïti, mais le mal est profond. La société civile haïtienne, la rue, l’ensemble de l’opposition ont lâché le pouvoir exécutif et le président Martelly qui ne sera plus, selon la loi, président le soir du 7 février. Ce gouvernement, soutenu jusqu’à l’extrême par la communauté internationale en général et les USA en particulier n’a pas su ou pas voulu construire la » transition démocratique » dont le pays a besoin.
En début de semaine dernière, un éditorialiste du Nouvelliste, le quotidien de Port-au-Prince écrivait : « Il y a une constante à Haïti, on prend le pouvoir à la hussarde, puis on s’y agrippe, on se bat pour ne pas partir … puis vient la chute . » Et celui qui arrive au pouvoir détruit ce qu’a fait le prédécesseur. Cette phrase du Nouvelliste résume l’histoire politique chaotique du pays.
Dans les jours qui ont précédé le 24 janvier les forces vives du pays ont demandé l’annulation du scrutin. Plusieurs organisations d’observation électorale parmi lesquelles Solidarité Femmes Haïtiennes ( Sofa), le Réseau national de défense des droits humains ( RNDDH) ont publié un communiqué dénonçant » le manque de crédibilité et de légitimité du comité d’évaluation électorale (CEP) ».
Une résolution du sénat haïtien a été votée le 21 janvier pour » exiger l’annulation du second tour » et mettre en place une commission d’enquête sur les différentes allégations d’irrégularités graves et de fraudes massives. Le sénat alertait également sur la crise sociale, économique et politique qui grandit à Haïti, alimentée par » l’immoralité, l’incompétence, l’irresponsabilité et l’incohérence des dirigeants du pouvoir exécutif en place. »
Puis la rue s’en est mélée. Des manifestations ont eu lieu dans tous le pays, des bureaux de votes ont été saccagés, des voitures ont br ûlé, la police est intervenue. Martelly, le président sortant, de manière assez pathétique, s’est accroché jusqu’à la dernière minute à l’idée qu’un deuxième tour pouvait avoir lieu le 24 janvier et que son candidat Jovenel Moïse pouvait être élu.
La crise sociale naissante et les pressions multiples ont finalement eu raison de ce déni : un deuxième tour crédible n’était pas possible. La diaspora haïtienne aux Etats-Unis s’est elle aussi exprimée: » pousser en avant avec insouciance les élections du 24 janvier ne ferait qu’aggraver la crise politique en Haïti » a déclaré le vice-maire de North Miami; Alix Desulme, l’un des auteurs de la lettre » Le pays n’a pas besoin d’un autre cycle d’instabilité débilitante, il a besoin d’un gouvernement légitime issu d’élections justes et crédibles « .
Pour les uns, proches du pouvoir, c’est l’insécurité et la violence sociale qui ont interrompu le processus électoral, bref c’est la faute à la rue. Un argument réfuté par une large majorité de la société civile et par la plupart des observateurs : c’est la corruption et l’incapacité du gouvernement Martelly à gérer la transition démocratique qui conduit à cet impasse. La rue s’est réveillée car une fois encore le scrutin allait être faussé.
En cette fin janvier 2016 les Haïtiens en sont là . Pour autant, le pays ne fait pas la une de l’actualité mondiale. La planète a d’autres soucis, la crise haïtienne occupe quelques lignes dans les journaux, pas plus. Ici dans la Caraïbe on observe dans un mélange de doute, d’inquiétude et d’espoir les événements qui agitent ce pays emblématique, petit et grand à la fois, pesant plus dans l’inconscient collectif que ses onze millions d’habitants.
Comment Haïti va-t-il, cette fois encore, s’en sortir ?
La stabilité d’un pays, comme la démocratie ne se décrétent pas, ce sont des processus lents. Dans son histoire agitée Haïti, pour diverses raisons, a vraiment connu, ni l’un ni l’autre. Si on tente de comprendre, avec le plus d’objectivité possible, cette instabilité chronique on va trouver des causes internes et externes.
Internes car la société haïtienne est parcouru de clivages sociaux, religieux, politiques, de croyances et d’une part d’irrationnel qui en fait la richesse et la spécificité, mais ne facilite pas son organisation. Externe car la » première république noire » s’est certes libérée il y a plus de deux siècles, mais elle n’a cessé de vivre sous influence extérieure. « Trop souvent, les à‰tats-Unis ont été désireux de sacrifier les principes démocratiques pour le bien d’une stabilité insaisissable » a déclaré Pierre Imbert, ancien directeur de la » Massachusetts Office of Refugees and Immigrants » et coauteur de la lettre » Nous demandons au Secrétaire Kerry de ne pas répéter cette erreur ».
La légitimité du pouvoir, o๠qu’il soit, passe par des élections libres et équitables. Est-ce utopique d’y parvenir à Haïti ?
Après ce nouvel échec il est probable qu’un gouvernement de transition – provisoire – va être mis en place, puisque le 7 février au soir, Haïti, légalement n’aura plus de président. Un pays sans Etat, fut-il aussi emblématique qu’Haïti ne peut pas fonctionner. Un gouvernement provisoire devra gérer les affaires courantes et … organiser de nouvelles élections équitables. Ce que n’a pas réussi à faire Martelly en cinq ans. Il faudra changer quelques uns des paramètres et quelques uns des acteurs de la pièce pour que la prochaine fois ça marche. Sinon …
Reste enfin la question de l’économie. Les acteurs politiques dans la Caraïbe en général et à Haïti en particulier aiment dire que » tout est politique ». Sans doute, mais quelle est la marge de manoeuvre d’un pays qui vit sous perfusion étrangère ? Celui qui paie est aussi celui qui décide, on peut le regretter, mais c’est une réalité qui ne manque pas de fondement.
La porte de sortie d’Haïti passe par la reconstruction d’une économie qui libère le pays d’une trop grande dépendance. Pour exemple: ces élections manquées chiffrées à plusieurs millions de dollars ont été financées par la communauté internationale ( USA, Brésil etc .). Ne serait-il pas logique que les institutions haïtiennes financent et organisent elle-mêmes leurs scrutins et ne passent pas par une entreprise à l’autre bout du monde (Dubaï) pour imprimer leurs bulletins de votes. Mais le peuvent-elles, en ont-elles les moyens ? A suivre.