La Guadeloupe ronronne, manque d’ambition en matière culturelle, se laisse porter par un discours rassurant fondé sur quelques connivences, retour d’ascenseur et une absence de regard véritablement critique. Tout cela renforcé par des institutions et des pouvoirs publics qui au fond ne s’intéressent pas vraiment à la culture. Nous nous endormons aux rythmes lancinants du zouk love.
Résumé en quelques mots, le plaidoyer du Kolèktif Sonny Rupaire – le combat du monde culturel – que nous publions est sévère et en partie fondé.
Mais puisqu’il est question dans ce texte d’un déficit de pensée critique, c’est avec un regard critique justement que nous avons lu ces propos et il en découle quelques remarques.
» L’Ici devrait être la source de nous-mêmes (…) et non le réceptacle passif de l’Ailleurs. »
Dès les premières lignes le KSR met en opposition l’Ici et l’Ailleurs. Pourquoi les opposer ?
La création artistique contemporaine en Guadeloupe inévitablement se nourrit des deux, question de taille, d’histoire, de position géographique, d’actualité. Comment faire autrement, depuis toujours, mais encore plus en 2010 quand ceux-là même qui ont des préventions contre cet Ailleurs, y vivent parfois ou bien vont aussi puiser dans ses théâtres, ses salles de spectacles, ses galeries etc.
Cela soulève une autre question qu’est ce que la culture ? Passe-t-elle forcément et uniquement par le théâtre, le cinéma, la littérature comme cela semble être dit dans le texte du KSR.
Des Guadeloupéens ne voyagent pas, ne vont pas puiser dans l’ailleurs, ils sont pourtant riches d’une culture, la leur, celle de leur terre, de leurs racines, de leurs jardins créoles, de leurs langues. Ils sont très éloignés, dans leurs modes de vie, d’un modèle culturel quasi mondialement dominant, mais va-t-on le leur reprocher ?
» L’artiste se distingue des autres citoyens … par la création artistique. »
En utilisant le singulier, le texte du KSR met » l’artiste » sur une sorte de piédestal que tous » les artistes » ne méritent pas forcément. Qu’est ce qu’être artiste ? Qui l’est, qui ne l’est pas ? Quels critères pour mesurer la qualité de la création artistique ? Le succés commercial, la prise de risque, l’innovation, la sincérité ?
Les artistes se distinguent-ils tant des autres citoyens ? Eux-mêmes sont les produits d’une société donnée, ici la Guadeloupe, ils ont le désir, parfois le talent d’exprimer la subjectivité, la poésie, la détresse, l’esthétique, le bonheur, la souffrance de cette société, mais tous y parviennent-ils ? Les « autres citoyens » puisqu’au fond c’est à eux que les artistes veulent s’adresser, ne font-ils pas aussi acte de création, dans leur vie, dans leur regard ? Et puis une dernière question: les artistes se distinguent-ils de des autres citoyens et de la société dans laquelle ils vivent ou bien en sont-ils les révélateurs avec les aspirations et les contradictions que cela comporte.
» Dans le but de s’élever, il naît alors dans toute civilisation une catégorie de femmes et d’hommes dont la fonction principale est de répondre à ces aspirations : les écrivains, les auteurs, les metteurs en scène et les interprètes de théâtre, les plasticiens, les cinéastes etc. »
On ne va pas dire ici que les écrivains, les cinéastes, les auteurs ne comptent pas dans une société mais résumer à cette liste de professions la capacité d’élévation d’une population ou même d’une civilisation comme dit le texte, semble un peu exagéré pour ne pas dire déplacé.
Woddy Allen – cinéaste génial et new-yorkais par ailleurs – doit le penser comme un certain nombre de bobos du cinquième arrondissement de Paris, mais vouloir développer les arts en Guadeloupe autour d’une idée semblable est curieux. Sans plasticiens, sans cinéastes, sans auteurs point de salut, ni « d’élévation ». N’est ce pas négliger, voire plus, la réalité d’un petit pays et puiser uniquement dans les arguments culturels de l’Ailleurs ? N’est ce pas en fait une approche très européocentriste de la culture: aller au théâtre, se faire un bon film et pourquoi pas un petit dîner au resto après. Mais cela ressemble-t-il au mode de vie en Guadeloupe ou bien à un autre mode de vie ? Qu’en aurait pensé un homme comme Christèn et peut-être Sonny Rupaire lui-même ?
Voici donc un regard critique avec sa subjectivité porté sur le texte du KSR. Ces remarques n’ôtent rien à l’intérêt du texte initial et de son constat : « le monde culturel guadeloupéen souffre de sinistrose ». Salles fermées, programmation en berne, perte d’énergie, manque de professionnalisme, spectateurs sur leur faim, artistes en fuite etc. En revanche cette distance prise avec le texte du KSR et ces remarques peuvent permettre d’engager un débat.
Comment recréer une dynamique culturelle en phase avec la réalité de la Guadeloupe ? C’est la question, les réponses sont ouvertes voire même attendues.