La coupe du monde de foot-ball au Qatar en 2022 devrait faire réfléchir chacun d’entre nous, mais particulièrement les amateurs de foot-ball. Comment regarder voire apprécier des rencontres sportives qui ont lieu dans des stades construits par de « esclaves modernes » ? Ce sport dit populaire est devenu le symbole des injustices et de toutes les corruptions du monde contemporain : toute puissance de l’argent, déshumanisation des plus faibles bref, retour au Moyen-âge et ses féodalités.
Le rapport du 31 mars dernier d’Amnesty international sur la préparation de la coupe du monde de foot-ball au Qatar cite des chiffres déjà publiés par le quotidien britanniques The Guardian : en 2014, 400 népalais et 500 indiens ont trouvé la mort sur les chantiers qatari. On le sait, on en parle mais les grands médias ne martèlent pas cette information ni ne cherchent à sensibiliser le grand public à ce scandale à la fois sportif et humanitaire.
O๠se trouve la Qatar ? Regardez sur la carte, c’est une tête d’épingle dans la péninsule arabique si riche en pétrole à moins de 1000 kilomètres au sud de la frontière irakienne et à moins de 2000 de la frontière syrienne. Pendant que des centaines de milliers de réfugiés irakiens et syriens ont fuit au nord, vers l’Europe, des conflits dans la genèse desquels le Qatar a joué un rôle ambigu, ce même pays dépense des milliards de dollars pour construire des stades en exploitant sans scrupule une main d’oeuvre à bas prix. Des réfugiés syriens, irakiens, afghans … manquant de tout fuient leurs foyers, se noient en Méditerranée et un pays arabe voisin construit à prix d’or des pelouses pour jouer au footbal dans le désert. N’est ce pas étonnant ?
Le Qatar est un curieux pays : ils comptent moins de 2 millions d’habitants pour 1,2 millions d’immigrés qui travaillent pour les Qatari. Ces immigrés forment la masse des domestiques, des ouvriers, des employés divers sans lesquels le pays ne fonctionnerait pas. Lorsqu’on vit de ce côté-ci de l’Atlantique, dans la Caraïbe, dans des pays qui ont connu l’esclavage et en portent encore la mémoire, le système qatari rappelle une forme moderne » de société de la plantation ». Une minorité détient tous les pouvoirs de contrôle et de coercision et une majorité n’est tolérée que pour sa capacité de travail et sa soumission, mises au service de la minorité. Le principe est assez simple et vieux comme le monde.
La question est de savoir si ce principe est tolérable en 2016, si le » progrés social » existe encore ou si nous revenons dangereusement vers des sociétés de castes ou oligarchiques, même dans les pays qui pensaient avoir fait un peu de chemin. De ce point de vue la fascination que semblent exercer les monarchies pétrolières et leurs dollars sur les hommes politiques occidentaux est inquiétante. Sans parler de celle des supporters du PSG, propriété privée des Qatari !
Ce que décrit le rapport d’Amnesty est l’instauration d’une forme de travail forcé : les immigrés népalais et indiens qui travaillent sur le chantiers de la coupe du monde ne peuvent quitter le pays ou changer d’emploi qu’avec l’accord de leur employeurs, ils sont mal logés, privés de leurs passeports, leurs salaires sont payés en retard et ils subissent des menaces s’ils protestent. Les travailleurs interrogés par les enquêteurs d’Amnesty demandent seulement le respect de leur personne, c’est à dire recevoir le salaire correspondant au travail fourni et quitter le pays, rentrer chez, s’il le désire. C’est pourtant simple.
La condition proche d’une forme d’esclavage moderne des travailleurs immigrés au Qatar est connue depuis longtemps, la coupe du Monde, opération de promotion et de communication des Qataris, la met seulement en lumière. Mais cette promotion est à double tranchant.
Le rapport d’Amnesty évoque la question de la Kafala, une loi issue de l’Islam qui détournée de son sens premier, permet au Qatar un contrôle quasi total sur les travailleurs immigrés.
La kafala dans les pays arabes est une sorte d’adoption qui ne crée pas de lien de filiation. Une sourate du Coran dit : « Allah n’a pas fait de vos enfants adoptifs vos propres enfants ». Une famille peut recueillir une personne, un enfant, assurer sa protection et son entretien, sans pour autant qu’elle soit à part entière membre de la famille, notamment en matière d’héritage et de succession. Deux catégories d’enfants en somme. On peut associer à la kafala une forme de générosité, lorsqu’il s’agit d’accueillir un enfant abandonné par exemple – alors pourquoi ne pas aller jusqu’à l’adoption – on peut aussi en modifier le sens.
Dans les pays du Golfe cette tradition, religieuse par son origine, s’est transformée en une sorte de « kafala professionnelle » de » parrainage pour l’emploi » qui permet d’avoir des » petites mains » dont on assure la protection et l’entretien mais qui en contrepartie fournissent un travail hors réglementation. » Cette kafala doit faire l’objet d’une refonte compléte et pas d’une réformette » déclarait en décembre dernier Mustafa Qadri spécialiste du droit des migrants dans les pays du golfe.
Le droit qatari par exemple, ne prévoit aucune limite de temps pour les employés de maison. Les Emirats arabes unis ont abandonné la kafala professionnelle en 2008, mais l’Arabie saoudite et le Qatar traînent les pieds.
Sous les projecteurs de la coupe du monde et la pression internationale le Qatar s’est engagé à instaurer des contrats de travail ( cinq ans maximum, les travailleurs immigrés ne sont pas destinés à rester au Qatar) et faciliter la sortie du territoire. Mais selon les observateurs d’Amnesty sur place, ces mesures sont insuffisantes car les immigrés népalais et indiens restent sous le contrôle de leurs employeurs.
Alors quoi ? Des stars du foot, payés plusieurs dizaines de millions d’euros par an vont jouer dans des stades construits par les petites mains venues d’Asie, soumises et mal payées, sur des pelouses en plein désert, dans un pays o๠les droits de l’homme … et de la femme font figure d’anachronismes. Des millions de spectateurs regarderont ça à la télévision, enthousiastes en buvant de la bière et en remplissant les caisses de la Fifa et des sponsors . Si cela a lieu, le boycot sera la seule solution ou alors, le foot, sport dit populaire, aura bien perdu son âme, s’il en a eu jamais une.