Sylviane a ouvert sa petite entreprise à Port-Louis en Guadeloupe il y a un an et demi. Elle porte un joli nom: Choukasik. C’était en 2009, année de crise mondiale et locale. Cela ne l’a pas arrêtée. Elle avait un rêve qu’apparemment rien ne pouvait ébranler : revenir travailler en Guadeloupe et faire des confiseries. Sa ténacité, sa bonne formation, l’amour de son pays lui ont permis d’aller au bout de son projet. C’est à échelle très humaine, une aventure port-lousienne. Sylviane Coquerelle a 53 ans et réalise son rêve d’enfant. Sa petite entreprise est en train de grandir à Port-Louis, au Nord Grande Terre, une région de la Guadeloupe, elle s’appelle Choukasik.
Chouk comme racine en créole, sik comme sucre. « Mes racines sont là » , dit-elle, « au pays de la canne et de l’ancienne usine à sucre de Beauport » . A l’aise pour aller de son laboratoire équipé aux normes d’hygiène et de sécurité à son espace-accueil o๠très régulièrement, alertée par sa sonnerie, elle sert des clientes. Certaines sont du quartier ; d’autres, les vacances terminées, repartent en France. Il y a aussi de nombreux enfants émerveillés de tant de choix. Tous, sourires aux lèvres tiennent en mains, comme un trésor douslèt é sik a koko, gato marbré é gato chokola, pipilit, sucettes et autres sucreries. Je n’ai vu aucun homme lorsque j’ai rendu visite à Sylviane dans sa boutique, mais elle me dit qu’il en vient aussi, certains régulièrement pour acheter eux aussi les douceurs qui leur rappellent leur enfance.
Et Sylviane ne veut pas en rester là , elle a le projet d’agrandir sa petite entreprise. Elle va déplacer Choukasik de quelques centaines de mètres, pour un espace plus grand .Un chantier va bientôt s’ouvrir d’o๠sortira une unité de fabrication et de vente plus importante qui produira chocolat, confiserie, bonbons, et pâtisserie. L’aventure continue.
Une aventure qui repose sur des souvenirs d’enfance étayés par une vraie passion, une bonne formation et un savoir-faire. De la chimie au chocolat il n’y a qu’un pas et quelques points communs, précision dans les températures, bon dosage des éléments. Elle a franchi ce pas.
Voyage dans une vie donc, celle de Sylviane qui montre qu’avec ce qu’il faut de ténacité et de force il est possible de s’enrichir d’une expérience acquise ailleurs sans rompre avec ses racines.
La vie de cette jeune sénior entreprenante s’est construite avec sa somme de moments heureux et de périodes difficiles entre la France et Port-Louis, entre deux mondes, entre deux cultures, entre deux modes de vie comme celle de tant de Guadeloupéens. Un pied ici, un pied là -bas, avec l’idée, toujours, de revenir à Port-Louis.
Sylviane à Paris, adulte et laborantine, a gagné sa vie en manipulant avec habileté et professionnalisme les éprouvettes dans différents laboratoires. Atout important pour une jeune guadeloupéenne qui se lance dans la vie, elle savait quel métier elle voulait exercer: chimiste ou laborantine. Elle aurait pu être chimiste après avoir été reçue au concours d’entrée à l’école nationale de physique chimie de Paris, mais des conseillers d’orientation très discutables la pousse vers un enseignement court. Elle sera donc laborantine.
Une enfance portlousienne
Jusqu’à l’âge de 12 ans Sylviane a vécu à Port-Louis avec sa grand-mère. C’est après le décès de celle-ci qu’elle a rejoint son père à Paris. Mais elle n’a jamais oublié cette personne forte et fière qui dans les années 1950 à Port-Louis, vendaient des confiseries, des sik à coco et autres friandises. Sylviane en a gardé le go ût, la rigueur et la douceur d’une enfance à l’ombre d’une granmanman d’autrefois dont le caractère associait une immense affection à beaucoup d’autorité. « Ses personnes- là savaient gâter les enfants tout en leur enseignant les apprentissages, les règles et les tâches de la vie quotidienne. Une petite fille comme moi savait repasser, cuisiner, tenir la maison, c’était obligé » se souvient Sylviane. Dès l’âge de 10 ans, c’est elle qui préparait et apportait le repas : » soup a kongo » , » poyo é mori » à sa grand-mère qui vendait dans le bourg les confiseries cuites au réchaud à charbon.
Le jeudi, jour de congé hebdomadaire des enfants des écoles primaires, elle imitait sa grand-mère et faisait des sucreries pour ses camarades. Sa spécialité était les « popot a fwiapen » cristallisées (les fleurs de l’arbre à pain). Ses amies s’en souviennent encore avec plaisir. La préparation de cette recette en dit plus long sur la vie à Port Louis dans les années 1950 que n’importe quelle explication savante. Il fallait du temps, de la patience et du soleil. Et il en faut toujours autant pour la réussir aujourd’hui.
Entre Paris et la Guadeloupe
A la fin de ses études à Paris, Sylviane ne trouve pas d’emploi dans sa spécialité alors, elle travaille dans une maison de retraite o๠elle se lie d’amitié avec une pensionnaire qui lui parle de sa contribution à la résistance pendant la 2ème guerre mondiale auprès du Général de Gaulle. Elle est fascinée par cette pensionnaire. A son contact, Sylviane découvre que la routine n’est pas une fatalité, qu’il est possible de faire des choix, de décider de sa vie. Elle décide donc : » Je veux être militaire « . Six mois plus tard, elle est engagée au laboratoire de l’hôpital de l’armée de Strasbourg o๠elle veille à la santé des pilotes. Elle y restera 2 années.
Puis, le temps de fonder une famille, Sylviane rentre en Guadeloupe. Elle aura deux enfants. Pour subvenir à leurs besoins, elle travaille dans des laboratoires de Saint-Claude et de Pointe à Pitre tout en confectionnant, pour le plus grand plaisir de ses parents, amis et voisins, des sucreries de toutes sortes. Ce don, transmis par sa grand-mère lui permet de rendre les gens autour d’elle heureux et contribue à son propre bonheur.
Quelques années plus tard, des raisons familiales, à nouveau l’obligent à repartir en France. Elle perd ‘équilibre trouvé en Guadeloupe entre son métier qui lui permet de faire vivre sa famille et sa passion, la confiserie. Là -bas, elle travaille encore, comme laborantine; elle est réaliste mais pas résignée et rêve toujours de s’adonner à sa passion : la confiserie.
L’an 2000 arrive, un nouveau siècle et le sentiment d’être passée à côté de quelque chose de ne pas avoir accompli un rêve. Déterminée, Sylviane décide : » Je dois m’occuper de moi, faire ce que j’aime. Il faut que je retourne en Guadeloupe « .
Elle négocie auprès de son employeur une formation longue durée à l’Ecole hôtelière de Clichy oà¹, parmi de jeunes élèves, elle apprend les bases de la pâtisserie, confiserie, chocolaterie et glacerie et obtient son diplôme.
Mais Sylviane n’est pas satisfaite, c’est le travail du sucre qui l’attire, alors chaque weekend, pendant plusieurs mois, chaque grande ou petite vacances elle enchaîne les stages :
– au syndicat des confiseurs de France o๠l’on ne travaillait pas le sucre pur mais les chocolats, les marrons, les dragées, les bonbons de manière industrielle;
– à Nantes chez Bonté, fabrication semi-industrielle, on bat le sucre à la main et on confectionne des berlingots avec du sucre venu des Antilles ;
– chez Le Nôtre, pour un module de fabrication artisanale intitulé » au royaume de la confiserie « . Là , à partir de bonbons fabriqués à l’ancienne, Sylviane a appris et compris les secrets de la transformation du sucre. Elle découvre le peningue (France) frère jumeau du « pipilit » (Guadeloupe). Le sucre d’orge en Guadeloupe est fait avec le sucre roux. En France c’est l’orge trempée dans l’eau qui donne cette même couleur brune.
– Elle se rend également deux à trois fois par semaine chez un artisan chocolatier Le Scarabée d’or, pour affiner ses connaissances.
L’engagement de Sylviane fut tel, que sans rémunération, elle apprenait encore et encore, au contact d’artisans. Ces connaissances ajoutées à celles apprises dans son enfance auprès de sa grand-mère ont fait d’elle peu à peu une professionnelle avertie.
Créer son entreprise dans le Lot et Garonne ou en Guadeloupe
A l’issue de son dernier stage chez Le Nôtre, il a été proposé à Sylviane de très bonnes conditions pour s’installer dans le Lot et Garonne. Elle a hésité. Pas très longtemps. Son rêve, elle en est s ûre est de créer son entreprise dans son pays, la Guadeloupe.
Elle arrive à Port Louis en décembre 2006 et courageusement, pas à pas, durant des mois qui font des années, soutenue par ses enfants, sa famille, elle monte ses dossiers de création d’entreprise. Avec la compétence toute récente de sa fille titulaire d’un Master 2 en Comptabilité, elle recherche des financements, rédige le cahier des charges pour la construction de son entreprise sur un terrain qu’un oncle lui a donné. Tant elle croit dans son projet, elle vend sa maison, pour investir et obtenir une garantie pour un prêt bancaire. Refus d’une première banque. La deuxième banque lui accorde le prêt demandé. Elle obtient également une aide des fonds européens.
Son entreprise : une unité de fabrication et de commercialisation de douceurs (confiserie, chocolat, glacerie, pâtisserie, vente) sera construite sur un terrain donnant sur la route qui mène au bourg de Port Louis. Les travaux commencent à la fin de l’année 2010.
Tout en réalisant sa passion, Sylviane travaille pour l’emploi dans sa commune. Ses apprentis sont de Port Louis. Elle y tient. Ils viennent du Centre de Formation pour Adultes.
Ainsi le rêve de Sylviane se concrétise, les enfants de Guadeloupe et les adultes gourmands ne sont pas condamnés à manger des fraises tagada importées, des bonbons au go ût chimique alors qu’il existe en Guadeloupe une vraie tradition de la confiserie et un savoir faire qui ne demande qu’à être développé. Cela doit être possible puisque Sylviane le fait. Ses caramels et guimauves aux saveurs des fruits des Antilles, sont de vraies merveilles.
Et, Sylviane n’a pas dit son dernier mot. Je l’ai vu acheter des pastèques pour une préparation qu’elle garde secrète. Elle sait ce qu’elle doit aux recettes de sa grand-mère mais elle cherche de nouveaux go ûts et saveurs mêlant la tradition et s’inspirant de son temps. Elle le fait avec talent et amour.
Un jour qu’elle était sur le terrain o๠sera s’élèvera bientôt l’unité de fabrication et de commercialisation de ses produits qui remplacera son petit magasin de Barbotteau, elle a commencé à compter les voitures qui passaient, nombreuses. Et Sylviane s’est mise à rêver ‘ Si seulement quelques une s’arrêtent, mon affaire devrait être rentable ‘.