Jeancarlos Canela alias El Diablo, est la vedette d’origine cubaine d’une Télénovela très populaire produite à New-York. Cette série diffusée depuis février 2010 en Guadeloupe, fait un malheur. Sur fond d’intrigue familiale inextricable c’est un coktail d’amour, de haine, de violence, de confiance trahie et d’instants de bonheur. El Diablo, quasi inconnu il y a un an, est aussi chanteur, quand il vient en Guadeloupe plus de 4000 personnes se précipitent à son spectacle. Un phénomène. Que peut-on penser d’un tel impact sur la société guadeloupéenne ? Nous publions ci-dessous le texte de Dominique Domiquin au ton, au style et à l’ironie décalés, au fond réconfortant en ce début de siècle morose.
Dans une lettre à Louise Collet, Gustave Flaubert écrivait « Le bonheur est un mythe inventé par le diable pour nous désespérer. » Eh bien j’ai beau être agnostique ascendant athée, aujourd’hui je l’avoue : je rêve d’être El Diablo, ou plutôt d’avoir son pouvoir.
D’ailleurs, sauf à être hypocrite, quel homme sur cette île pourrait sérieusement me blâmer ? Imaginez, messieurs, tomber des choupèpettes avôté kon matrité par charters entiers ! D’un coup d’oeil désinvolte, déclencher de secrètes inondations et force scènes d’hystérie collective ! D’un sourire ultra-brite, provoquer l’ovulation spontanée d’un essaim d’enamourées ne demandant qu’à vous donner leur Bon Dieu sans confession ? Le pied quoi !
Certes, d’un point de vue purement technique, l’affaire n’irait pas sans comporter quelques inconvénients. Sur notre petit territoire o๠vivent six femmes pour un homme, difficile de satisfaire tout le monde. Un bon cocktail de bwa bandé et de siwo pat a chouval devraient entretenir le priapisme nécessaire à l’assomption d’un tel pouvoir. A coup s ûr, mes innombrables rivaux, aigris car condamnés à l’onanisme, organiseraient de gigantesques battues et finiraient, l’écume aux lèvres, par m’enfumer dans un champ de canne.
Plus sérieusement, il faut le reconnaître, en interprétant sur scène le tube » Darling » de Patrick Saint Eloi, l’acteur-chanteur Jencarlos Canela (plus connu sous le nom de El Diablo) a fait 1000 fois plus fort que le LKP :
Sans violences, sans bloquer l’économie de l’île, sans monter les uns contre les autres, ce type a rendu le plus bel hommage qui soit à la langue créole et mis un maximum de détracteurs moralisants et chauvins (donc bien français) dans sa poche.
La force tranquille ? Je me suis laissé dire qu’un tract était en préparation pour dénoncer la venue du chanteur Infernal. Faut qu’on se calme, les gars ! El Diablo est juste un chanteur qui fait (bien) son métier. Si on n’aime pas ce qu’il produit, qu’on évite de regarder son feuilleton, qu’on n’aille pas voir son concert, mais par pitié, qu’on n’en fasse pas tout un chodo ! Si vous n’aimez pas ça, n’en dégo ûtez pas les autres.
Quand on n’est pas kréyolopal, apprendre une chanson en créole et surtout l’interpréter, lui donner vie sur scène, oser reprendre à domicile LE tube du crooner local, ça demande des tripes et un vrai travail de compréhension, d’imprégnation en amont. C’est une sacrée leçon de professionnalisme. Qui osera arguer après cela que Le Diable est venu voler l’argent des Guadeloupéens ? Les distraire de la » lutte » ? Et dire que les mêmes s’enorgueilliront demain qu’une star étrangère ait repris une chanson de PSE dans le texte !
MORALITE ; Je revendique le droit pour les guadeloupéens de regarder les séries TV qu’ils veulent. La liberté d’être fans de qui ils veulent. De s’identifier à qui ils veulent. Le droit pour les guadeloupéennes d’être groupies autant qu’elles veulent, à s’en arracher les poils, à en ruiner leurs sous-vêtements et à s’en rouler orgasmiquement par terre si ça leur chante, que ce soit pour un artiste local ou vini, peu importe qu’il soit blanc ou noir et quand bien même il ne parlerait pas un mot de créole.
Le XXIe siècle est là . Evitons de tourner en rond, recroquevillés sur nous-mêmes, allons à l’extérieur, allons vers l’autre, parlons-lui de notre culture et écoutons ce qu’il a à nous dire de la sienne.
Guadeloupéens, Jakata ! Mettons nos gosses au mandarin, ça urge !
Dominique Domiquin, Pointe à Pitre, le 14 novembre 2010