Mettre des informations et des événements en perspective, relier des faits séparés les uns des autres, retrouver le sens c’est ce que nous essayons de faire sur ce site. Deux informations récentes ont retenu notre attention: l’inauguration au jardin d’acclimatation à Paris des festivités autour de l’année de l’outre-mer et l’intervention à l’Assemblée nationale d’une député de Guyane qui s’alarme du nombre croissant de suicides d’Amérindiens dans son département. On peut considérer que les deux faits n’ont rien en commun. C’est un parti pris possible.
Mais on peut rappeler qu’il y a un peu plus d’un siècle des Amérindiens, dans des zoos humains, étaient montrés comme des bêtes curieuses au public du jardin d’acclimatation curieux de découvrir la diversité des peuples d’un empire colonial. Ne s’agissait-il pas d’une sorte de suicide institutionnalisé de l’identité et de la qualité d’être humain de ces hommes ?
En 1882, des Amérindiens de Guyane, des Kanaks de Nouvelle Calédonie, acteurs malgré eux de ces zoos indignes sont morts à Paris sans revoir leur terre.
Plus d’un siècle après, en 2011, la question amérindienne dans le cadre républicain n’est toujours pas réglée. Bêtes curieuses à la fin du 19em siècle, ils sont population ignorée au début du 21e. Le malaise pour ne pas dire plus, reste présent .
Début mars, Chantal Berthelot, député de Guyane a interpellé le gouvernement sur le nombre croissant des suicides amérindiens, sur les comportements autodestructeurs et sur la mal vie de ces Guyanais, descendants des premiers habitants à avoir vécu sur cette terre française des Amériques.
» Les raisons de ce malaise sont bien s ûr multiples « , a déclaré la députée, «mais, au coeur de celles-ci, il y a la question de la place des populations amérindiennes dans l’ensemble français, et particulièrement en Guyane. Il y a urgence à agir, comme en atteste la réalité de ces communes enclavées que sont Camopi ou Maripasoula, o๠vivent les Amérindiens, abandonnés par la République. Sans services publics de proximité, ils reçoivent une éducation inadaptée et disposent d’un accès difficile et limité à la santé. En attestent également les conséquences désastreuses sur la vie de ces populations de l’orpaillage clandestin ou encore la spoliation de leurs savoirs traditionnels en l’absence de toute législation relative à l’accès aux ressources génétiques et au partage des avantages issus de leur utilisation.»
Quand pour justifier l’association douteuse du jardin d’acclimatation à l’année de l’outre-Mer et conjurer le passé, Daniel Maximin, commissaire de cette année si discutable, cite, le jour de l’inauguration, René Ménil: » Nous ramassons des injures pour en faire des diamants » on peut lui demander quels diamants les Amérindiens de Guyane ont ramassé au fil du siècle écoulé. Les occasions n’ont pourtant pas manqué de les accompagner, de les respecter et par la même de réhabiliter l’image de la République, bien entendu généreuse et impartiale.
Cette convention de l’OMT est l’un des rares instruments juridiques reconnu par la communauté internationale concernant les droits des peuples indigènes et tribaux. La France ne l’a pas signée. La convention existe depuis 1989. Les pays signataires s’engagent à favoriser la participation aux prises de décisions et à l’auto-détermination des peuples autochtones vivant sur leurs territoires. A ce jour, la France n’a pas ratifié ce document qui reconnaît notamment le droit collectif à la terre.
Lorsqu’un pays signe cette convention, ce fut le cas du Chili o๠les indiens Mapuche luttaient contre l’exploitation forestière, son entrée en vigueur induit des réformes juridiques en faveur des peuples concernés.
A la question posée par le député de Guyane le ministre a répondu que l’Etat n’abandonnait pas ces peuples déchirés » entre le poids des traditions et la réalité du monde , que la préfecture a été saisie du problème, ainsi que la gendarmerie et l’Education nationale, que des médiateurs amérindiens et un infirmier psychiatrique ont été ou vont être envoyés dans les régions concernées. » Cette réponse prêterait à sourire si le sujet n’était aussi grave. Un infirmier psychiatrique pour répondre à des décennies, des siècles de non-dits, de fractures, d’acculturation, de mal vie, d’abandon, cet homme là devra être solide.
Les séries de suicides chez de jeunes Amérindiens depuis une dizaine d’années renvoient à d’autres séries du même ordre qui se sont produites dans d’autres pays, à d’autres époques. Dans les anciens pays de l’Est et plus récemment le Magrheb. En décembre dernier Mohammed Bouazizi, un jeune marchand ambulant de 26 ans en s’immolant a déclenché le printemps arabe; en 1969 l’un des plus célèbres européens martyrs du 20e siècle Jan Palach s’est immolé pour protester contre l’écrasement par les soviétiques du printemps de Prague. Au début des années 2000 une nouvelle série s’est produite en Tchecoslovaquie, parmi elle deux étudiants décrits comme » brillants et solitaires » Zdenek Adamec et Roman Masl ont mis fin à leur jours » parce qu’ils vivaient douloureusement l’évolution du monde « . L’impossibilité de se projeter dans l’avenir, de s’établir dans un futur possible et choisi, de construire une vie dans des sociétés fermées est à l’origine de ces actes de désespoirs. Alors que dire des jeunes Amérindiens, à la marge du monde.
Les suicides des Amérindiens n’ont pas de retentissement, ils ne dépassent guère en Guyane le seuil de la presse locale et leurs acteurs n’ont peut-être pas le même degré de conscience politique, mais ils sont là , nous disant que l’auto-satisfaction, les pseudo succès de manifestations évidemment réussies, la célébration d’un outre-mer sur papier glacé, bref les opérations de communication en tout genre ne peuvent éternellement cacher les réalités multiples et les injustices de ce monde.
En janvier le président tunisien Ben Ali criait au complot médiatique après les premiers suicides et affirmait que tout allait bien dans son pays et qu’il fallait surtout songer à l’avenir, au développement. Combien de Ben Ali sévissent encore dans les couloirs de tous les pouvoirs ?