Le Bureau d’études ouvrières (BEO) crée en Guadeloupe il y a quelques mois a publié son premier relevé comparatif des prix dans les grandes surfaces de l’île. Un travail de fourmis a été effectué pour répertorier plus de 1000 produits. Des bénévoles l’ont réalisé, unis par l’idée que la nourriture et l’alimentation sont des besoins fondamentaux, qui relèvent plus de la dignité humaine que des profits et de la spéculation dont ils font quelques fois l’objet. La baisse de l’octroi de mer appliquée sur une centaine de produits depuis octobre 2009 à la suite des négociations entre la préfecture, le LKP et les collectivités ne sont pas répercutées par les grandes surfaces excepté par l’enseigne Leader Price. Soit l’information est fausse, dans ce cas les responsables BEO doivent être poursuivis pour divulgation de fausses nouvelles; soit c’est la réalité, dans ce cas les services compétents de l’Etat et des collectivités doivent intervenir dans cette affaire puisqu’il s’agit de détournement de recettes fiscales. Le manque à gagner en impôt pour les communes de la Guadeloupe devait profiter aux consommateurs et non pas à la grande distribution. La situation, au regard de l’intérêt général, ne peut pas rester en l’état, c’est le premier constat, pourquoi, simplement ne pas appliquer un accord signé.
Ensuite les champions de la hausse des prix sur une année ne sont pas forcément ceux auxquels on aurait pu s’attendre. Le Beo attribue la palme à Boisripeaux service ( 13,67%), puis Super U Grand Camp ( 11,92%) et Geant Casino ( 11,83%). Carrefour Millenis arrive derrière avec 10,69% et Destrelland avec 5,08%. Leader Price La Jaille ( 5,16%) et Ecomax Petit-Perou Abymes ( 2,47%) ferment la marche. Quand on regarde dans le détail des étiquettes étonne : le 21 mai 2011 le pot de confiture de Goyave M’amour de 325 g était vendu 2,25 euros à Millenis et le même jour 2,98 euros à Destrelland. Mêmes enseignes. C’est la loterie calculée de la grande distribution. Le prix d’un produit isolé n’est pas significatif, c’est la rentabilité du rayon qui compte avec des produits à forte marge et des produits d’appel en promotion. L’acheteur est l’une des pièces de ce jeu complexe, il doit éviter de perdre à tous les coups: c’est à dire acheter ce qu’il n’a pas choisi , ce dont il n’a pas besoin. L’étude du BEO fournit des listes de prix assez difficiles et austères à lire, mais qui établissent un état des lieux et délivre un message : les prix montent plus vite que les revenus. Combien de personnes ont vu leurs revenus augmenter de 10% au cours de l’année écoulée ?
Ce comparatif entre enseignes et étiquettes semble établir qu’il règne dans ce secteur, une certaine concurrence en Guadeloupe à l’inverse de ce qui est souvent fustigé : le ou les monopoles . L’analyse du BEO émet des réserves sur le terme concurrence.
» J’en viens à me demander, si le terme « concurrence » convient réellement au sujet dont nous discutons », répond Fabien Marius-Hatchi, rédacteur en chef du journal du Beo. « Quelles sont les enseignes qui ont pratiqué une inflation inférieure à 2 chiffres ? Leader Price et Ecomax ? Deux enseignes de discount qui commercialisent un bon nombre de produits de moindre qualité que ceux de marque, qui se spécialisent sur un plus faible nombre de produits qu’elles vendent, pour un grand nombre, sous leur propre marque. On ne peut donc les comparer aux autres supermarchés qui fonctionnent sur un autre mode. »
» Carrefour Destreland ? La plus grande surface commerciale de la Guadeloupe, certains disent de la Caraïbe ; honnêtement, je n’en sais rien, qui appartient à la première fortune des départements français d’Amérique, qui possède (à moitié avec Despointes) sa propre plateforme logistique, qui peut négocier très favorablement ses frais d’approche vu son poids économique en Guadeloupe ? Les prix plus bas sur les produits négociés en 2009 qu’il affiche, est-ce un effet de la concurrence ou un effet du poids économique du groupe Bernard-Hayot ? Il faudrait une étude plus poussée des prix pratiqués par cette enseigne sur l’ensemble du magasin. Le BEO ne s’est intéressé qu’aux produits de première nécessité négociés en 2009 et il a, de plus, averti les enseignes qu’il effectuerait ses contrôles dans la semaine du 16 au 22 mai. Au BEO, au LKP en général, nous ne croyons pas que la prétendue « concurrence » soit un obstacle à la pwofitasyon. Je n’ai pas vu que l’arrivée de Leclerc en Martinique ait chamboulé, au final, la situation des prix là -bas. Les consommateurs sont désorganisés, souvent ignorants, on ne fait pas grand chose pour qu’ils sortent de cet état d’ignorance, et les entreprises entretiennent la plus grande opacité : sur leurs charges, leurs recettes, leurs marges, les prix d’achat, leurs résultats d’exploitation, leurs comptes. Difficile du coup pour de simples bénévoles d’obtenir des éclaircissements. »
Est-il suffisant de faire baisser les prix ? Dans la longue liste du Beo on peut observer des baisses sur des produits qu’il vaudrait mieux ne pas consommer du tout. Sodas et boissons sucrées en particulier, et il y aurait d’autres exemple. Une jeune femme bénévole du Beo a soulevé cette question lors de la présentation de l’étude : » Le choix de ne pas acheter, le boycott de certains produits nocifs pour la santé, produits par des sociétés qui ne pensent qu’en terme de profit, quel que soit leurs prix peu importe, le refus d’achat c’est aussi l’arme des consommateurs. » Ainsi le prix entre en ligne de compte, mais le niveau de qualité des produits ne peut pas être occulté, ni le rapport à la consommation et aux espaces de consommation : un supermarché ne devrait pas être un lieu de promenade familiale: » Une éducation populaire à la consommation serait la bienvenue mais c’est un débat gigantesque autour de l’aliénation volontaire, des pulsions consuméristes, » dit Fabien Marius-Hatchi, » des associations de consommateurs, des mouvements politiques ou culturels entreprennent ce travail ; avec peu de moyens et une audience limitée. Il devient de plus en plus répandu de renvoyer la « société civile » à des responsabilités qui appartiennent aux institutions sociales, comme pour mieux légitimer la destruction ou l’affaiblissement de ces dernières. »
Le travail effectué en Guadeloupe par le Beo fait écho à un rapport de l’Observatoire national des prix et des marges publié en juin dernier par le journal Les Echos indiquant que les distributeurs seraient responsables des hausses de prix, car crise ou pas, partout en France, ils ont maintenus leurs marges au détriment des producteurs. Tout semble être une question de taille. Le rapport indique que lorsque les producteurs sont des industriels puissants, ils arrivent à négocier des marges élevées avec la distribution, alors que dans le cas de filières atomisées – la filière porcine par exemple – les distributeurs imposent leurs règles. Ce constat, venu de France hexagonale, n’éloigne pas de la Guadeloupe, il y ramène. Est-il trop tard pour revenir ou aller aux fondamentaux : faire en sorte que les questions de nourriture et d’alimentation ne soient pas des instruments de profit, mais de simple dignité humaine ? La question peut paraître déplacée, utopique même, quand à l’échelle mondiale on a vu spéculer sur le riz ou les céréales, mais c’est une question qui ne pourra pas éternellement rester sans réponse.