Le 15 octobre dernier, des Indignés québécois se sont installés Square Victoria au centre de Montréal. Nous publions ci-dessous le regard de Claudia Vachon (1) sur ce mouvement, ses difficultés et ses espoirs.
L’histoire commence lorsqu’un jeune vendeur ambulant s’asperge d’essence et s’immole sur la place publique, devant les bureaux du gouvernement tunisien pour protester contre l’explosion des inégalités. Loin d’être conventionnel, son geste désespéré met le feu aux poudres, appelant au renversement de la dictature et dessinant les assises d’une vague de contestation nationale. Une dizaine de mois et plusieurs révoltes populaires plus tard, quelques centaines de protestataires se réunissent à New York, près de Wall Street. Ils dénoncent le gangstérisme du gouvernement états-unien et des institutions financières. Aujourd’hui, l’histoire se poursuit, s’accélère et partout à travers le monde, ce sont des centaines de milliers de gens qui s’unissent dans une valse d’indignation pour rompre avec les excès d’un capitalisme insatiable.
Les évènements se succèdent, s’enchevêtrent et c’est maintenant officiel : depuis le 15 octobre dernier, le mouvement des indignés s’est installé dans plus de 1500 villes dans le monde afin de réclamer une restructuration de l’économie, mais surtout une répartition des pouvoirs qui favoriserait davatange les citoyens. Loin d’être une marée atypique de jeunes extrémistes, toutes les générations se confondent et se côtoient. Plusieurs intellectuels entrent dans la cadence et offrent leur appui à la démarche citoyenne. D’ailleurs, Joseph Stiglitz, récipiendaire du prix Nobel d’économie en 2001, a salué le mouvement new-yorkais en s’indignant à son tour contre le système de gestion actuel. Quelques mois après son discours prononcé en Espagne, l’illustre économiste a dénoncé « un système o๠les pertes sont supportées par l’ensemble de la société alors que les gains sont privatisés ».
A l’instar des autres grandes villes, les protestataires montréalais ont pris d’assaut le centre-ville en installant leur campement au pied de la Tour de la Bourse, au Square Victoria, renommé pour l’occasion La Place du Peuple par un vote à main levée. Ce samedi-là , en matinée, plus d’une centaine de manifestants sont déjà sur place pour organiser les quartiers d’occupation. Sous le regard des policiers de la Ville qui ont reçu le mandat d’assurer la sécurité des citoyens – et non pas d’étouffer les protestations – m’a-t-on assuré les premiers piquets sont plantés et rapidement, les premières tentes se déploient. A la hâte, certaines personnes confectionnent des affiches pour dénoncer les dérives du capitalisme ainsi que la concentration des richesses et du pouvoir. Tandis qu’un homme marche solennellement avec un immense carton sur lequel il est inscrit « Wall Street Bullshit », une mascotte à l’effigie d’un cheeseburger déambule à travers la foule pour recueillir les premiers dons.
Des dons qui témoignent non seulement de l’indignation des citoyens, mais aussi de la générosité de certains. Pensons ici à cette dame qui a acheté une génératrice neuve pour permettre aux occupants d’utiliser leurs ordinateurs et de développer une plate-forme médiatique. Ou encore à cet homme qui a prêté un br ûleur à grande capacité qui est utilisé tous les jours par des bénévoles pour préparer des repas chauds offerts gratuitement aux protestataires montréalais. A l’une de mes dernières visites, j’ai vu quelques dizaines de personnes qui faisaient la queue devant l’espace cuisine pour remplir leurs assiettes. Au menu : moules, saumon et cuisses de grenouilles. La précarité des installations ne rime donc pas nécessairement avec une alimentation déplorable.
Quelques mètres plus loin, malgré l’heure tardive, quelques occupants cherchent toujours un endroit pour installer leur tente pour la nuit. Faute d’espace, ils s’exilent et vont rejoindre les autres manifestants qui ont établi leurs quartiers au nord de la rue St-Antoine, à quelques pas de l’orgueilleuse station de métro au design parisien.
En réponse aux critiques qui reprochent à l’occupation d’être un mouvement sans leadership et sans revendication précise, les protestataires s’enflamment. Selon les dires de plusieurs, le mouvement tire sa force de la confusion qui l’entoure, s’éloignant des discours moralisateurs. Un jeune homme impliqué dans l’organisation, Frédéric Carmel, insiste sur l’absence de leader officiel pour permettre aux Montréalais de se réunir et d’entamer une véritable réflexion collective. Il s’agit d’une manière pour les citoyens d’appliquer un mode de démocratie directe et de reprendre leur place dans le paysage politique. « Nous allons rester là jusqu’à ce que la température ne nous le permette plus. Et au printemps, s’il le faut, nous reviendrons », ajoute-t-il avant de remettre son masque et de disparaître dans la foule.
Ce masque que l’on aperçoit sur le visage de plusieurs occupants – ou sur celui de la statue de la Reine Victoria – n’est pas sans rappeler celui du personnage révolutionnaire dans V pour Vendetta alors qu’il tente de détruire le gouvernement totalitaire. Ou plus récemment, sur les visages des protestataires du groupe Anonymus devant les églises de scientologies. Pour autant, l’existence de ce masque est associée à Guy Fawkes, un protestataire du dix-septième siècle qui a tenté de faire exploser le palais de Westminster pour tuer le roi et décimer la classe aristocrate. Un symbole loin d’être banal puisque le masque à la moustache facilement reconnaissable devient ici l’expression d’une collectivité. L’affirmation d’une société qui a perdu confiance en ses institutions financières et qui s’épuise de porter le poids du lobbyisme.
Au moment d’écrire ces lignes, quelques incidents de vandalisme et de violence physique ont commencé à inquiéter les occupants de la métropole. Ils insistent, malgré tout, sur la pertinence d’un territoire autogéré. Les fautifs en question ont été expulsés et la milice patriotique québécoise, même si elle n’en a pas rendu le mandat officiel, assure la sécurité et l’ordre sur le site. Des incidents marginaux pour l’instant, mais qui pourraient se solder par l’expulsion des occupants si les accusations deviennent trop nombreuses.
Comme quoi l’éveil démocratique d’ampleur mondial pourrait être ruiné par les mauvaises intentions de quelques trouble-fêtes. Il faudra donc veiller à assurer le climat pacifique de l’occupation, sans quoi l’automne québécois, contrairement au printemps arabe, pourrait céder rapidement à l’hiver.
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