Urgence et réchauffement climatique : les remises en questions sont trop lentes !

A la fin du mois de janvier dernier, Jean Jouzel, climatologue et glaciologue a séjourné quelques jours en Guadeloupe à l’invitation de l’association Latij, pour donner une conférence sur le réchauffement climatique et ses conséquences. Les îles de la Caraïbe et leurs habitants qui ont souffert en septembre 2017 d’une succession d’ouragans dévastateurs sont concernés comme la plupart des peuples de la planète.
En 2007, Jean Jouzel au titre du GIEC ( groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat) a reçu avec d’autres scientifiques le prix Nobel de la Paix au titre de lanceur d’alerte sur l’urgence climatique. Onze ans plus tard, rien n’a changé, sinon l’urgence qui se précise. C’est en substance ce qu’a dit Jean Jouzel lors de sa conférence aux Abymes. Faisant même preuve d’un certain pessimisme quant à la prise en compte de cette urgence par les puissances économiques et politiques.
Nous publions ci-dessous un entretien avec Martin Beniston réalisé il y a quelques années par Juana Bastian, une amie de Perspektives. Martin Beniston, directeur de l’institut des sciences de l’environnement à Genève a rédigé plusieurs chapitres du rapport qui a valu au Giec le Nobel. Quelques années sont passées, mais malheureusement cet entretien reste d’une totale actualité.

L’IMPACT DE PLUS EN PLUS VISIBLE SUR LES POPULATIONS ET L’ECONOMIE

Que vont devenir les réfugiés écologiques victimes des perturbations météorologiques? Quelles pourraient être les conséquences du changement climatique sur l’économie mondiale ?

A ce questionnement de plus en plus pressant répond l’identification des facteurs de risque. Et la situation est réellement grave ! Face à l’angoisse de populations menacées par les changements climatiques et leurs corollaires : vents violents, tornades, fontes des glaciers, pluies diluviennes et inondations de régions côtières, il est utile de faire le point avec un spécialiste en climatologie, le Professeur Martin Béniston. Il répond aux questions de Juana Bastian :

J’aimerais que vous précisiez la réalité et la gravité du réchauffement climatique

Je pense qu’il n’y plus de doute sur le fait que le réchauffement climatique est en cours et qu’il est mesurable pratiquement sur toute la Planète. C’est donc un phénomène global. Aujourd’hui, on arrive à dire avec un certain degré de probabilité que l’homme est en partie responsable de ce réchauffement et que, probablement depuis le milieu du XXe siècle, il est peut-être même l’acteur dominant dans le réchauffement que l’on observe.

Qu’en est-il de l’effet de serre ?
Il fonctionne de manière relativement simple : la Terre reçoit l’essentiel de son énergie du Soleil; celui-ci émet du rayonnement sous forme d’ondes courtes, les ultra-violets par exemple. C’est un rayonnement visible, la lumière. Lorsqu’il arrive à sa surface, la Terre se réchauffe et, pour ne pas surchauffer, elle doit rayonner une partie de cette énergie, un peu comme un radiateur. Mais elle va rayonner des ondes beaucoup plus longues, les infra-rouges, c’est-à-dire l’énergie de la chaleur. ···

Ce qui complique la donne, c’est qu’il existe des gaz dans l’atmosphère : le Co2 ou dioxine de carbone, le méthane, la vapeur d’eau, qui ont pour effet de bloquer partiellement cette énergie infra-rouge et sont redistribués sous forme de chaleur dans l’ atmosphère. Il s’agit donc d’un effet totalement naturel qui permet à la Terre de conserver une température d’environ 15° C., sans quoi notre planète serait totalement gelée à moins 18° !

Le problème qui se pose c’est que, depuis le début de l’ère industrielle, on a fortement contribué à l’augmentation .des quantités de gaz, tels le méthane et le dioxine de carbone; cette accumulation, a renforcé l’effet de serre avec une telle rapidité que le réchauffement dépasse les fluctuations naturelles du climat.

Si l’ère industrielle a beaucoup contribué au réchauffement du climat, que dire de l’exploitation pétrolière, avec les innombrables torchères ?

Effectivement, c’est essentiellement le secteur « énergies » qui pose problème et, dans ce secteur, 75 à 80% des gaz à effet de serre proviennent de la combustion du pétrole et du charbon. Que ce soit pour la mobilité ou pour l’industrie, nous pouvons constater notre dépendance quasi exclusive au pétrole et au charbon, ainsi que ses effets sur le réchauffement climatique.

Les perturbations touchent aussi le milieu océanique. Avec quelles retombées, notamment pour le Gulf Stream que l’on dit très gravement perturbé ?

Il s’agit d’hypothèses plausibles, pas encore de certitudes Toutefois, l’atmosphère et l’océan communiquent constamment au niveau physique : chaleur, échange de gaz à effet de serre, etc. Dans l’avenir, ce qui pourrait arriver à cause d’un climat plus chaud, c’est que les glaces polaires remontent beaucoup plus au Nord. Actuellement, la présence des glaces et de la banquise favorise la circulation du Gulf Stream, c’est-à-dire des eaux chaudes de la zone Caraïbes transportées vers les eaux froides de l’Atlantique Nord avec pour compenser cette différence de chaleur, un système de tapis roulant qui, au large de l’ Islande, va plonger à grande profondeur et fermer le circuit. Alors, si vous perturbez la position actuelle de la banquise et des glaces polaires, vous allez fortement perturber la zone où se concentrent ces eaux profondes, ce qui pourrait couper une partie de ce tapis roulant et donc arrêterait, théoriquement, le Gulf Stream ! En s’arrêtant, il n’alimenterait plus l’Atlantique Nord en chaleur, occasionnant un refroissement important des deux côtés de l’Atlantique, soit le tiers-Est de l’Amérique du Nord et une bonne partie de l’Europe. Cela dit, ce sont encore d s hypothèses et on ne pense pas que cela pourrait se réaliser au cours de ce siècle qui sera, très certainement, celui du réchauffement dû au comportement- humain. Au-delà, peut-être, dès le 22ème siècle, on pourrait voir cet hypothétique ralentissement ou même l’effondrement du Gulf Stream.

Quels sont les conséquences prévisibles: sur la biodiversité, sur l’économie mondiale, à court terme et à long terme ?

Il est vrai que les impacts sont extrêmement nombreux, que ce soit sur les systèmes environnementaux ou économiques. A l’échelle planétaire, un des aspects les plus évidents ou les plus inquiétants du réchauffement, c ‘est la montée du niveau des mers car plus de la moitié des habitants de la planète habitent sur une côte ou à proximité. De ce faity ils seraient très vulnérables à une montée du niveau des océans. Même avec ttn mètre de ·pltts, -cela ·petit -suffire à engendrer des problèmes pour les zones côtières : avec le .tsunami et l’ouragan Katrin_a, on a vu qu’un léger supplément de l’élévation du niveau des mers peut être catastrophique.
Concernant la biosphère, la biologie terrestre est extrêmement complexe et, même si certains éléments peuvent s’adapter à l’amplitude et à la vitesse du réchauffement prévu, d’autres pans de la végétation et de la chaîne alimentaire qui en dépend pourraient être appelés à disparaître. Donc extinction de certaines espèces plus ou moins robustes, ce qui entraînerait une perte de la diversité biologique…

Pour le secteur agricole, on peut dire que dans le domaine socio-économique, c’est le plus sensible aux aléas du climat : une période de sécheresse prolongée comme en 2003 en Europe a entraîné des milliards d’euros de pertes dans ce secteur. S’il y a répétition d’une canicule type 2003 – ce qui est extrêment plausible d’ici quelques décennies – et qu’on n’adapte pas d’autres semences capables de résister à la chaleur et/ou à la sécheresse, on va forcément retrouver des problèmes qui menaceront la sécurité alimentaire.
Un mot-clé, l’adaptabilité humaine et celle de la biodiversité sera-t­ elle la seule chance de survivre ?
Oui, je crois que le discours actuel, sauf pour une minorité de personnes, n’est plus de mettre en doute le réchalÜfement. Il y a une fourchette prévisible pour les décennies à venir et, maintenant, toute la question est de savoir ce que l’on va faire en matière d’adaptation : pour se prémunir contre certains risques associés à ce réchauffement et aussi en sachant utiliser certains éléments du système biologique, ou agricole, ou technologique, pour réduire l’ampleur des impacts du réchauffement.
Parmi les problèmes et les bouleversements, le fossé entre le Nord et le Sud est en train de se creuser, la famine guette aussi…

– Même indépendamment du réchauffement climatique, malheureusement. Il est c1air que les pays industrialisés, au Nord, sont en meilleure posture car ayant des moyens financiers et technologiques qui leur permettent de faire face. Les pays du Sud sont nettement plus vulnérables, à la fois à cause de leur fragilité économique et parce qu’ils sont situés dans des zones climatiques assez marginales, désertiques ou semi-désertiques, qui pourrait voir une aggravation de la sécheresse ou, dans certaines zones tropicales, une augmentation des pluies qui pourraient péjorer les activités agricoles.

Mais l’attachement aux traditions peut être un obstacle…

Obstacle peut-être ou, à la limite, cela pourrait être une chance parce que les pays du Nord ont cherché à imposer leur mode de fonctionnement à certains pays du Sud qui, avec leur mode de vie et leurs traditions, ne fonctionnaient finalement pas si mal que ça avant qu’on leur impose, par exemple, la mécanisation de l’agriculture. Les gens n’ont pas du tout les moyens financiers pour l’ achat de l’ équipement ni le carburant nécessaire pourfaire fonctionner des tracteurs….Est ce que c’était vraiment nécessaire d’endetter de·1a sorte un secteur aussi important que l’agriculture dans les pays en voie de développement.

Quels remèdes envisager ? Est-ce que cela ne passe pas, tout d’abord, par une éducation du peuple et, aussi, des politiciens ?

Je suis malheureusement toujours un peu sceptique par rapport à une éducation des politiciens… Par contre, on a vu dans Je Festival Médias Nord-Sud 2006 (à Genève), l’engouement et l’intérêt vraiment sincère des jeunes pour ce type de problèmes, avec des questions qui montrent qu’il y a une prise de conscience. Pour répondre à ce questionnement, un meilleur enseignement – peut-être même assez tôt dans le cursus scolaire – pourrait amener ces jeunes gens à devenir des acteurs importants dans les prises de décisions- qui seront nécessaires au cours des prochaines décennies

Je pense aussi qu’il y aura un autre fait notable, indépendant de la sensibilité environnementale ou écologiste des grandes entreprises; il s’agit de l’augmentation du prix des carburants fossiles et une certaine diversification énergétique passant par d’autres sources d’énergie, pour rester compétitif et réduire sa facture énergétique. Cela permettrait la réduction des gaz à effet de serre. Ainsi, par le biais des mécanismes économiques, certaines grandes entreprises pourraient prendre les bonnes décisions qui iraient dans Je sens d’une réduction de leur propres émissions de gaz à effet de serre, tout simplement sur la base de critères économiques et non d’un diktat politique.

Il y a encore le secteur des économies d’énergie où il reste énormément à faire. Je pense qu’en Suisse on pourrait diminuer entre 30 et 50% de la facture énergétique par une meilleur politique de l’énergie.

Mais certains pays, y compris Ja France, parlent de rouvrir des mines de charbon…

C’est vrai que l’on va vers un problème non négligeable de diminution du pétrole, d’ici vingt ou trente ans. Il sera donc plus cher et comme on n’a pas encore maîtrisé, et de loin, la technique de la fusion nucléaire, il faudra passer un cap, à l’échelle d’une génération, où l’on devra trouver des solutions au problème de l’énergie. Qu’est-ce qu’on va faire entre l’après pétrole et, peut-être, l’avènement de la fusion nucléaire comme source importante d’énergie ? Il est évident que l’on sera obligé de revenir au vieux démon, le charbon, mais il y a de nouvelles technologies qui permettent une meilleure propreté environnementale liée à sa combustion. Entre deux démons, c’est un choix politique très délicat..

Comment expliquer le fossé entre les scientifiques, leurs rapports normalement fiables et l’attentisme des politiques, voire pire ?

Dans le cadre du réchauffement climatique, les décisions politiques et économiques se prennent sur un laps de temps très court alors que la gestion du problème climatique doit nécessairement se faire sur un temps très long. Ce sont des choix à long tenne que l’humanité n’a pas l’habitude de traiter.

Qui a dit « gouverner c’est prévoir » ! Pourra-t-on faire changer les choses sérieusement et mettre les Conventions internationales en application ?

Le fait qu’il y ait des Conventions internationales est déjà encourageant et montre que les gouvernements sont conscients qu’il y a problème et que l’on doit faire quelque chose pour les aborder mais, comme il y a une série d’intérêts divergeants pour certains pays , la mise en application de ces Conventions prend beaucoup plus de temps que ce que les scientifiques souhaitent.

Sur quoi doivent porter les efforts de tout un chacun ?

L ‘essen tiel du problème vient du secteur énergétique, cela passe donc par diverses solutions et remises en question : économie d’énergie, approvisonnement énergétique, questionnement sur notre grande·mobilité, etc… Je pense que lorsqu’on aura effectivement résolu les questions d’énergie dont on vient de parler, un grand pas aura été fait pour résoudre, sur le long terme, les problèmes climatiques.

Une réflexion sur « Urgence et réchauffement climatique : les remises en questions sont trop lentes ! »

  1. La réponse du scientifique à propos de l’agriculture traditionnelle à la curieuse question de la journaliste est intéressante. En matière de pollution des sols et de mauvaise qualité des produits je ne vois pas en effet en quoi la  » tradition » est nuisible.
    Si la planéte entière se mets à pratiquer l’agriculture dite  » moderne » à base d’intrants chimiques et de pesticides, d’énormes engins agricoles et de crédits bancaires sans fin alors oui … nous allons dans le mur. Aujourd’hui des agriculteurs même dans les pays dits développés reviennent aux pratiques agricoles de leurs parents ou grand-parent, d’avant les années 60 et 70 et l’utilisation massive de la chimie. Mais les gros producteurs, ici de bananes, ailleurs de céréales qui captent l’essentiel des subventions publiques sont sourds à cela car cela met leur modèle en question et remet en cause toute leur vie d’agriculteurs. Difficiles d’admettre qu’ils ont pollués les sols et stérilisé leurs terres. Ici en Guadeloupe voir l’impact des plantations de melon, présentées comme un succés commercial alors qu’ils s’agit d’une culture qui utilise massivement la chimie et stérilise les sols en quelques années. Question : manger du melon guadeloupéen est-ce bon pour notyre santé ?

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