« De la consultation populaire du 7 décembre 2003 à la résolution du congrès des 8-9 décembre 2011 : 8 ans de jeu de jambes et de changement de pied. » C’est ainsi que Claude Edmond résume les stratégies politiques de ces dernières années en Guadeloupe. Quel sera l’avenir ? Aujourd’hui, notre devenir historique se déroule mais ne progresse pas. On assiste au cours de ces dernières années à un défilé d’impasses, une succession de situations bloquées, une immobilité en marche. On se confine à un simple projet de réforme de confort sans rien entreprendre pour la prospérité du pays Guadeloupe. Ceci en dépit des bonnes intentions et des évidences joyeuses (la deuxième résolution » faire vivre la production locale « ) entonnées au congrès d’orientation du 21 décembre 2011 consacré à la » Santé et Alimentation « .
Au projet institutionnel, il est impératif d’associer un volet économique. La clé d’une politique économique et sociale différenciée susceptible de résorber le chômage de masse et d’orienter la consommation effrenée des ménages vers la production locale ne réside probablement pas dans l’option qui se dessine à l’horizon, à savoir l’assimilation législative.
Un statut sensiblement dérogatoire au droit commun notamment en matière douanière, fiscale, de droit d’établissement et autorise la préférence locale en matière d’emploi est une piste de travail à ne pas écarter d’office. En effet, il a l’avantage de garantir la maîtrise des outils politique, juridique, financier, indispensables à un développement économique endogène du territoire guadeloupéen. Comme le formulait le camarade Aimé Césaire dans sa lettre de démission du parti communiste français (PCF) adressée au secrétaire général Maurice Thorez le 24 octobre 1956, » l’heure de nous-mêmes a sonné « . A l’instar de l’Assemblée coloniale de 1787 ou du Conseil colonial de 1833, l’émergence d’un pouvoir décisionnel doit présider à tout changement institutionnel ou statutaire et finalement au destin du pays. Une Guadeloupe prospère et harmonieuse est à ce prix d’audace et d’innovation.
Depuis la révision du 28 mars 2003, la Constitution fournit un cadre pour toute forme d’évolution institutionnelle ou statutaire des régions et départements d’outre-mer. Cette modification constitutionnelle fut suivie de la consultation populaire du 7 décembre 2003. Les électeurs de Guadeloupe ont rejeté à 72,98% des suffrages exprimés le projet de création d’une collectivité unique régie par l’article 73 de la Constitution.
Le 24 juin 2009, le congrès des élus départementaux et régionaux a décidé comme préalable à toute avancée institutionnelle, l’élaboration d’un projet guadeloupéen de société en association avec la société civile. Pour mener à bien cette large consultation populaire, le congrès a souhaité bénéficier d’un délai supplémentaire de réflexion de 18 mois avalisé par le président de la République Nicolas Sarkozy dans son discours du 26 juin 2009 à Petit-Bourg.
C’est ainsi qu’un comité guadeloupéen du projet de société a été mis en place le 16 juin 2010 sur la base de 7 débats thématiques avec une remise des conclusions des travaux avant la fin de l’année. Cet exercice de démocratie participative devait précéder la convocation des élus à toute nouvelle réunion du congrès.
Le 28 décembre 2010, sur la base des travaux d’une commission mixte des deux assemblées locales en charge de formuler des propositions, le congrès a jugé le projet guadeloupéen de société insuffisamment abouti. En réalité, les élus se sont élancés mais ils n’avaient pas encore lacés leurs chaussures. Fatalement ils ont trébuché. Probablement en raison d’un déficit d’éthique de conviction, d’un manque de force de responsabilité et d’une absence de dimension du possible.
Entre-temps, la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales a été promulguée. Son article 87 autorise dans un délai de 18 mois (jusqu’au 17 juin 2012) le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures spécifiques aux départements et régions d’outre-mer.
C’est dans ce cadre législatif qu’une demande d’adaptation a été adoptée par le congrès du 28 décembre 2010 sur deux aspects. Premièrement, que le nombre de sièges soit relevé de 43 à 65. La loi du 26 juillet 2011 fixant le nombre de conseillers territoriaux n’a rajouté que 2 postes complémentaires. Deuxièmement, l’instauration d’un mode de scrutin mixte pour moitié au scrutin majoritaire uninominal et pour l’autre moitié au scrutin proportionnel de liste avec une prime majoritaire de 25% (soit 8 sièges) et 4 sections électorales correspondant aux 4 circonscriptions législatives.
La loi ordinaire du 27 juillet 2011qui institue une collectivité unique régie par l’article 73 de la Constitution en Guyane (51 conseillers) et en Martinique (51 conseillers 9 membres du conseil exécutif) accorde une prime de 11 sièges à la liste arrivant en tête. Soit pour la Guyane et la Martinique respectivement 21,57% et 18,33% des postes à pourvoir.
La fin de non recevoir signifiée le 14 février 2011 par le chef de l’Etat à toute modification du mode de scrutin et son aval à un relèvement mineur (43 à 45) du nombre de sièges a conduit le député socialiste Victorin Lurel à présenter le 22 juin 2011 une proposition de loi tendant à adapter la loi de réforme des collectivités territoriales aux caractéristiques et contraintes particulières de la Guadeloupe.
Saisi pour avis le 20 juillet 2011 par le président de l’Assemblée nationale, le conseil d’Etat a dans sa séance du 22 septembre 2011 souligné le risque d’inconstitutionnalité de ce mode de scrutin mixte. La Haute juridiction considère que ce dernier présente » une différence de nature et d’ampleur significative avec celui en vigueur dans les autres conseils généraux « . En effet, 32 des 65 conseillers territoriaux sont élus au scrutin de liste à la proportionnelle avec une prime majoritaire relevé à 50% (et non plus 25%). Soit 16 sièges.
La réforme des collectivités territoriales instaure des conseillers territoriaux siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional et institutionnalise de fait le cumul des mandats. A l’inverse du statut de la Ville de Paris, elle maintient la présence des deux assemblées délibérantes composées des mêmes élus pour chacune des deux collectivités.
Les élus réunis les 8 et 9 décembre 2011 en congrès d’orientation consacré au projet guadeloupéen de société ont validé le principe d’une collectivité unique dans le cadre de l’article 73 de la Constitution. En outre, la résolution finale reprend la méthodologie sous la forme d’agora démocratique arrêtée par le congrès à sa séance du 24 juin 2009. Le peuple guadeloupéen est repositionné comme l’unique interlocuteur. Les différentes structures de consultation populaire (comités intercommunaux et comités communaux) sont ainsi réactivées.
A l’évidence, un pas supplémentaire a été franchi. La collectivité unique a le mérite de supprimer l’enchevêtrement des compétences sur des domaines partagés et de faciliter ainsi la mise en cohérence et l’efficacité de l’action publique locale (aménagement du territoire, développement économique). Par ailleurs, en mettant fin aux doubles emplois, elle rationalise et mutualise les moyens humains, matériels et financiers.
Toutefois, l’idée d’une assemblée délibérante unique aux deux collectivités territoriales (conseil général et conseil régional) inspirée sur le modèle de la Ville de Paris (à la fois commune et département) reste toujours d’actualité si l’on s’en tient aux voeux télévisés du président du conseil régional pour 2012. Aux termes du dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution, cette option d’évolution institutionnelle implique également la consultation préalable des électeurs guadeloupéens.
Pour autant, les interdits ne sont pas totalement levés, ni les tabous brisés ou les obstacles vaincus.
A l’opposé de la Guyane et de la Martinique, toute évolution de la Guadeloupe vers une collectivité d’outre-mer de l’article 74 de la Constitution est implicitement écartée. Néanmoins, rien n’interdit au peuple guadeloupéen de s’autosaisir de la question lors des débats au sein des différents comités. Le pourra-t-il ? On peut légitimement douter d’un tel sursaut démocratique.
Le festin présidentiel auquel nous sommes tous conviés ressemble trop à un plat à la saveur trompeuse.