La Guadeloupe ne va pas très bien, comme son hôpital. Nous publions aujourd’hui un texte de Frantz Succab, auteur et journaliste guadeloupéen, qui se penche sur le cas de ce » peyi malad’. Malade de quoi, par la faute de qui, de quoi ? Comme dans la fable les vrais coupables ne sont pas punis, trop puissants pour » approfondir leur cas ». C’est le citoyen Untel » sans gloire personnelle, ni casserole à son train » qui est dans le collimateur.
Ce que dit Succab de la Guadeloupe s’applique partout : » haro sur le baudet » dit La Fontaine. L’épicier de Damas qui a quitté son quartier sous les bombes n’a pas souhaité être réfugié sur les routes d’Europe, il subit une situation de laquelle les responsables, « les ours et les tigres » ne seront probablement jamais punis. Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Grand Corps Malade n’est pas un pays, mais on peut se méprendre. Parce que le mérite ou le malheur d’un tel nom de scène reviendrait sans doute au Pays Guadeloupe… Kò a’y pa bon menm ! Oui léfrè, Lagwadloup malad’oooo…
Malade de quoi ?… Voici que là-même-là notre esprit passe de Guy Konkèt à Jean de La Fontaine dans sa fable, Les animaux malades de la Peste . Oui léfrè, tous deux racontent les gens en pays malade qui réclament en vain un remède à leur malheur. L’art survole le temps et l’espace. C’est bien ainsi que les hommes vivent et leurs fables au loin les suivent.
Un mal qui répand la terreur…
Un mal qui répand la terreur, mal que le Ciel en sa fureur inventa pour punir les crimes de la terre. La Peste – puisqu’il faut l’appeler par son nom – faisait aux animaux la guerre… C’est La Fontaine qui campe ainsi le sujet. Dans la fable, comme dans tous nos contes anciens et souvent nos chansons, à l’instar de Konpè Lapen et Konpè Zanba, les animaux représentent la diversité du peuple. Ici, la Peste résume tous les maux qui résultent des crimes de la Terre, contre la Terre, voire contre l’Homme.
Comment réagissent les gens face à ces fléaux qui semblent tombés du Ciel, dont ils ne maîtrisent ni les causes ni les conséquences et contre lesquels ils se sentent impuissants ? Même s’ils n’en meurent pas tous, dit la fable, ils sont tous frappés. Plus personne ne croit en rien, plus rien ne fonctionne normalement : ni l’agriculture ni la pêche pour cause de terre et mer empoisonnées ni la vie quotidienne insulaire pour cause de sargasses ni la distribution d’eau courante pour cause de dégradation des réseaux et de gabegie des services ni le système de soins hospitaliers ni le pouvoir d’achat qui s’amenuise de jour en jour ni l’emploi ni…ni…ni, encore moins la conduite de la vie publique. En gros, rien ne va plus…Et la fable rajouterait : les gens se fuient, plus d’amour et, partant, plus de joie. Les joutes politiciennes qui amusaient tant la galerie deviennent aux yeux du peuple de la pure tragédie. Sa dézolan Sa doulouwé Sa anmèkdan ya ya ….Briksèl Briksèl ooo Lè yo rivé Briksèl, mésyé, dènyé byè dènyé chanpangn anplas a diskisyon.
Tousa sé fòt an nou…
C’est alors que ceux qui font dans la gouvernance tiennent conseils à répétition. Aux dires de la presse et de l’opinion, il faut bien admettre que, heu… Dieu (ou l’Histoire, pour les incroyants) n’est pas injuste. Tousa sé fòt annou tout : ta pèp la, ta lé zéli, ta gouvèlman… Il faut que le plus coupable d’entre nous s’offre à la punition divine (ou historique) pour obtenir la guérison commune. Ainsi dit la fable : L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents on fait de pareils dévouements. Donc, tour à tour, chacun doit mettre ses péchés sur la table, afin qu’on puisse en mesurer le poids et qu’en toute justice périsse le plus coupable.
Aux jeunes, on trouva la fainéantise et une fâcheuse tendance aux conduites à risques; aux salariés adultes, un amour immodéré pour la grève, si ce n’est pour le sabotage pur et simple de l’outil de travail; aux hommes, d’être des porcs fiers de l’être; aux femmes, d’être victimes des porcs ou d’avoir trop tendance à faire mère en solo. On alla même racler le fond de l’histoire pour faire Delgrès et Ignace avouer qu’ils n’étaient pas si nègres qu’ils le laissaient croire, qu’ils étaient quand même l’un, colonel de l’Armée française, et l’autre, petit propriétaire d’esclaves … Trop tard pour ces-derniers : ils avaient déjà donné leur comptant de sacrifice.
Vint le tour des gros pontes : ministres en goguette, pas touristes, mais presque ; chefs politiques divers en leurs grades et qualités; grands chefs d’entreprises, épandeurs invétérés de pesticides; hauts cadres fonctionnaires de ceci ou de cela, mais bien protégés par le devoir de réserve; porcs de l’ordre élevé, mis en examen, mais présumés innocents…
De guerre lasse, il fallut aussi explorer l’Histoire : on trouva un général de l’armée napoléonienne du nom de Richepance, avec beaucoup de sang guadeloupéen sur les mains : le coupable idéal. Mais, il a bien fallu se rendre à l’évidence qu’il est impossible de tuer un déjà-mort de très longue date. Et quand bien même, on ne touche pas impunément aux symboles régaliens sans accord de l’Etat français. Enfin, tout ce monde-là, avec circonstances atténuantes, prises de risques liées à leurs hautes fonctions, innocence présumée et tout le toutim, passa aux yeux d’une opinion publique, lassée de parlottes, pour des Saints par défaut… Et flatteurs d’applaudir.
Haro sur le bourriquet
Le citoyen Untel, sans ambition, sans gloire personnelle et encore moins de casseroles dans son sillage, un parfait inconnu, vint à son tour et dit : je travaille dur, comme un bourriquet, mais sans voir la vie devant moi. J’ai fait quelques crédits pour survivre avec ma famille. Dettes de loyers, dettes d’impôts, plus de carte bleue, vieux tacot, mais incapable de payer le contrôle technique obligatoire. J’avoue pour mes déchets ne pas toujours respecter le tri sélectif. Je traîne une prostate qui fait laide-manière. Je sais que fumer tue, mais je fume, et bois sans modération plus souvent qu’à mon tour. Pour moi, il n’y a pas meilleur don du ciel que ma femme, mes enfants et mon voisinage… J’aime ma vie avec ses hauts et ses bas. C’est ma vie. Mais s’il faut la sacrifier pour sauver le pays, je me dévoue.
Un clerc (de nos jours nommé: Expert-Communiquant) démontra sur toutes les ondes et tous les plateaux de télévision que c’était de ce genre d’individu que venait tout le mal, toute l’irresponsabilité guadeloupéenne. Tout ce qui fait que ce pays n’avance pas. Il faut effacer cette racaille du paysage, c’est une œuvre de salubrité publique. Ce discours fait exploser l’audimat…Et répondeurs de relayer, et flatteurs d’applaudir.
Laissons à La Fontaine la morale de cette histoire: Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs.