Des mouvement sociaux contre des hausses de prix abusives ont eu lieu en 2009 en Guadeloupe et Martinique, en octobre 2011 à Mayotte et en février 2012 à La Réunion. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, à des milliers de kilomètres de distance. Est-ce un hasard ?
A La Réunion, une grève des transporteurs contre la hausse des prix du carburant a été le phénomène déclencheur. En quelques jours une partie de la population, parmi la plus démunie, s’est solidarisée au mouvement. Après cinq jours de manifestations, de grèves, d’incidents divers et de courtes négociations, la préfecture, bien forcée de prendre des mesures, a annoncé une baisse de prix sur soixante produits de première nécessité. Moins 30% sur la bouteille de gaz, moins 8 centimes sur le carburant etc Les collectivités ont été appelées à la rescousse, le Conseil général a mis 5 millions d’euros dans la balance, la Région n’a pas dit son chiffre, mais participe. Cette baisse des prix est garantie jusqu’à fin 2012. Et après ?
Ce scénario n’est pas inconnu en Guadeloupe. Les prix flambent, les personnes les plus modestes ne peuvent plus suivre, un événement déclencheur fait que la rue se révolte. Ensuite, puisqu’il faut trouver une issue au conflit, la préfecture annonce, grâce à un financement public, une baisse artificielle des prix. Des promesses sont faites, la rue se calme, les syndicats aussi jusqu’au prochain rendez-vous. Mais jamais les questions de fond sont vraiment posées.
Ce scénario s’est produit il y a trois ans en Guyane, Martinique, Guadeloupe, en octobre dernier à Mayotte, tout frais département français, et en février 2012 à la Réunion. Est-ce un hasard ? On n’a pas entendu dans ce temps écoulé de révoltes des prix dans d’autres départements français. Ni la Dordogne, ni l’Ardèche ni l’Alsace se sont dressés contre la valse des étiquettes. Ni d’autres conseils généraux de l’hexagone d’ailleurs ont été forcés de subventionner les prix à la consommation, une mesure qui est loin d’entrer dans leurs compétences. Un problème spécifique dans ces territoires français loin de Paris existe bel et bien. Et malgré les silences, les tabous, les non-dits, dans un contexte de mondialisation galopante, cela commence vraiment à se voir.
Comment se structurent les prix dans ces départements français dits d’outremer ?
Pas dans la transparence ni la rationalité en tout cas. A Mayotte la départementalisation a entrainé une hausse des prix et une augmentation de la consommation inégale selon les couches de la population ( 53% de hausse entre 2005 et 2010) et a creusé les écarts. 20% de la population de l’île a vu son revenu augmenter de façon sensible quand 80% assistait à ce changement sans en bénéficier d’o๠une situation explosive.
La Réunion compte 883 000 habitants, un réunionnais sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté tandis qu’une partie de la population, les employés de l’Etat et des collectivités, les cadres du privé, bénéficient de rémunération de 35 à 53% supérieure à leurs homologues de l’hexagone. Ces surprimes, appelées aussi » primes coloniales » seraient justifiées par la cherté de la vie dans « les îles », mais quelques rares voix s’élèvent aussi pour dire que ce sont ces primes elles-mêmes qui créent la cherté, notamment celle des loyers avec ce marché des « expat » à hauts revenus.
Le maire PS de St Denis de la Réunion n’a pas hésité à braver un tabou en déclarant « l’heure est venue de mettre en cause ces surémunérations. »
Le LPLP qui milite pour l’indépendance de la Réunion ne dit au fond pas autre chose:
» Le problème des prix à La Réunion, ce n’est pas l’octroi de mer, ce n’est pas non plus d’obtenir 200 euros d’augmentation des salaires jusqu’en décembre, la vraie solution est de supprimer toutes les primes coloniales qui gonflent artificiellement les prix. Si elles disparaissent, les prix baisseront. » C’est dit, c’est même écrit dans quelques journaux, mais c’est encore un tabou à manipuler avec précaution.
L’autre tabou est celui des monopoles de la distribution et de l’importation. Elie Domota, leader du LKP en Guadeloupe désigne régulièrement ce lobby des importateurs-distributeurs qu’on voit peu, qui sont partout et qui d’après lui font la pluie et le beau temps dans ces départements lointains.
Le poids de ces monopoles a été dénoncé il y a trois ans en Guadeloupe, sans que cela change grand chose d’ailleurs, les mêmes réapparaissent à La Réunion. Le président UMP de la Région, Didier Robert, a soulevé la question. Ces concentrations hors norme ressemblent étonnament à celles de la Guadeloupe. Le groupe Bernard Hayot, incontournable, originaire de Martinique a été cité dans la presse. Il contrôle à la Réunion des enseignes familières aux Guadeloupéens: Carrefour, Danone, M Bricolage, Decathlon, les concessions automobiles Renault, Mercedés, Audi, Skoda, Hyundai.
Pour un nombre de plus en plus grands d’observateurs la combinaison surprimes accordées par l’Etat et concentration des réseaux de distribution seraient à l’origine de ces prix excessifs, une analyse qui rejoint en fin de compte celle du LKP et du Bureau d’études ouvrières en Guadeloupe.
« Dans le contexte de la « défaillance de l’Etat et des pouvoirs politiques », le LKP exigera des négociations avec les différents acteurs de la distribution pour limiter les marges abusives et obtenir que les produits de première nécessité soient commercialisés à un prix supportable par les classes populaires, conformément aux engagements pris » ont déclaré le mois dernier les deux organisations guadeloupéennes.
On n’a jamais vu aboutir dans ces départements, hors crise, des négociations apaisées sur la fixation des prix. C’est toujours à chaud quand la crise est là , que la rue s’échauffe, que les routes sont barrées qu’en urgence il faut négocier. Peut-on espérer voir évoluer un jour, cette pratique un peu archaïque du dialogue social ?